En cette nuit de samedi, plusieurs centaines de protestataires continuaient de braver le froid sur Mykhailivska Ploscha (place Saint-Michel) à Kiev. Dans le brouhaha des klaxons et des slogans populaires, une silhouette imposante bondit sur l’estrade, encouragée par les applaudissements de la foule. «Aujourd’hui, nous avons une opportunité unique de réaliser des changements de fond pour notre pays, et de les réaliser ensemble !» A 42 ans, 2,02 mètres, 112 kilos, Vitali Klitschko, champion de boxe poids lourd WBC en titre, en impose.

Porté par la mobilisation populaire contre le régime autoritaire du président Ianoukovitch, le géant a officiellement été déclaré ces derniers jours candidat de ­l’opposition unie pour l’élection présidentielle d’octobre 2015. Son programme est simple: «Faire respecter les règles du jeu.» Chaque occasion est bonne de le rappeler : «J’attends de chacun de vous que vous vous comportiez en sportifs, avec fair-play et self-control!» clamait-il samedi sur Mykhailivska Ploscha.

La violence des affrontements a relancé ces jours-ci les manifestations qui réunissent désormais des centaines de milliers de personnes et dont les revendications vont au-delà des questions d’intégration européenne. Les protestataires en colère demandent désormais la destitution de Viktor Ianoukovitch. Une occasion unique pour Vitali Klitschko de se poser en rassembleur. «En règle générale, l’opposition politique est assez faible en Ukraine», commente une jeune manifestante, Irina, après avoir applaudi le boxeur avec enthousiasme. «Mais Klitschko a passé beaucoup de temps en Allemagne. Il a une mentalité européenne. En plus, il pourrait bien être un des seuls Ukrainiens à être devenu riche de manière honnête. Quand il parle de lutter contre la corruption, je le crois. En plus, je suis une grande fan du sportif !» ajoute-t-elle, rayonnante.

Vitali Klitschko, c’est d’abord l’une des rares success stories de l’Ukraine indépendante. Nés d’un père militaire, Vitali et son petit frère Vladimir, lui aussi champion international de boxe, ont profondément marqué la discipline depuis les années 1990. Fort de 47 combats, 45 victoires, dont 41 par K.-O., Vitali est aussi le premier sportif de haut niveau à avoir mené à terme une thèse de doctorat, d’où il tire son surnom de «Docteur poing de fer».

En s’appuyant sur une popularité incontestée, et probablement en anticipation de sa retraite sportive, le boxeur s’est lancé en politique. Après deux candidatures infructueuses à la mairie de Kiev, le «Docteur incorruptible» voit dans l’acharnement judiciaire du régime à l’encontre de l’ancienne première ministre Ioulia Timochenko une cause qui l’oblige à un investissement politique total. A l’annonce de son arrestation, en août 2011, il interrompt son entraînement en vue d’un combat de boxe majeur et se rend directement à Kiev pour y soutenir l’ancienne égérie de la révolution orange. Sans succès. Dans un manifeste publié en novembre, il déclare vouloir «empêcher l’Ukraine de sombrer dans l’autocratie» et préparer le pays à une intégration européenne, «le modèle de notre développement politique et économique futur». Depuis les législatives d’octobre 2012, il est à la tête du parti Oudar («coup de poing», en ukrainien), devenu, selon les sondages, la troisième force politique du pays.

«Je ne vois pas vraiment comment une reconversion du sport à la politique est possible. Mais de toutes les manières, si on compare son aura légendaire à ses actions politiques, il n’utilise vraiment pas tout son potentiel», commente Dmitro Galkin, analyste politique à Kiev. Vitali Klitschko est souvent critiqué pour son manque d’initiative et sa faible capacité d’influence au sein de l’arène politique ukrainienne. «Après presque deux semaines de mobilisation pro-européenne, le rejet de Viktor Ianoukovitch par la population ne se traduit pas par un désir automatique de Vitali Klitschko. Il aurait pu structurer le mouvement d’une manière beaucoup plus efficace. Et je pense que ce manque de leadership mène aux provocations violentes que l’on peut voir ici et là», souligne l’analyste. Depuis son entrée au parlement, le géant se caractérise parfois par des silences coupables ou des prises de position politiques bancales. Et s’il affirme qu’il a une vision pour l’Ukraine à partir de l’élection de 2015, il semble beaucoup plus hésitant sur la marche à suivre dans les prochains jours.

Le géant se caractérise parfois par des silences coupables ou des prises de position politiques bancales