Proche-orient
Le président russe condamne une «agression contre un Etat souverain» et note la dégradation des relations russo-américaines. L’attaque américaine entame son prestige de défenseur du régime syrien

Le président russe a réagi avec acrimonie vendredi matin à l’attaque américaine dans la nuit contre une base militaire syrienne. Dans un communiqué distribué aux agences de presse russes par le porte-parole du Kremlin, Vladimir Poutine a condamné «une agression contre un Etat souverain sous un faux prétexte». Il fait allusion à l’attaque chimique du village de Khan Cheikhoun mardi, qui a tué au moins 86 personnes, dont 27 enfants. Tandis que les Occidentaux incriminent l’aviation de Bachar el-Assad, Moscou soutient une version alternative, selon laquelle l’agent neurotoxique meurtrier vient d’un entrepôt contrôlé par les terroristes, ciblé par le bombardement.
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Argumentation alternative comme à l’ère soviétique
Le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a avancé comme argument l’hypothèse que l’armée régulière syrienne ne posséderait pas d’armes chimiques, puisque ses stocks auraient été détruits en vertu d’un accord passé entre Russes et Américains en 2013.
Poursuivant dans le registre de la guerre de l’information, Vladimir Poutine analyse les frappes ordonnées par son homologue Donald Trump comme «une tentative de détourner l’attention des nombreuses victimes parmi la population civile en Irak», allusion à la difficile reconquête de Mossoul. Le recours à une argumentation «symétrique» est aussi redevenu aussi systématique qu’à l’époque soviétique.
Sur le plan diplomatique, le président russe annonce que l’intervention militaire américaine «porte une atteinte significative aux relations russo-américaines», «qui sans cela se trouvaient déjà dans un état déplorable». Pour Vladimir Poutine, l’attaque américaine entrave la mise en place d’une coalition internationale contre le terrorisme.
Poutine: les frappes US en Syrie, une agression contre un Etat souverainhttps://t.co/C9HbsZCDZw pic.twitter.com/lUv7JX8XaW
— Sputnik France (@sputnik_fr) April 7, 2017
La condamnation verbale a été suivie de la suspension unilatérale du memorandum passé avec les Etats-Unis à l'automne 2015, destiné à éviter les incidents entre les deux aviations dans le ciel syrien. Moscou réclame aussi une réunion urgente du conseil de sécurité.
Le choix de mots durs marque une évolution nette dans l’attitude du Kremlin envers l’administration Trump. Jusqu’ici, Moscou s’employait à protéger la personne de Donald Trump, considéré comme victime des pressions de «l’influent lobby russophobe» à Washington. Il s’agit du premier signe d’un retour à une perception monolithique et antagoniste des Etats-Unis, caractéristique des relations avec l’administration Barack Obama depuis 2014.
Vladimir Poutine, soutien amoindri des Syriens
La démonstration de force inattendue de Donald Trump porte atteinte à la stature de Vladimir Poutine, qui s’est positionné en protecteur du régime de Bachar el-Assad. La Russie a déployé une importante flotte aérienne sur la base de Khmeimim en octobre 2015, ainsi que des systèmes antimissiles très avancés (S-300 et S-400), présentés comme capables de sanctuariser le ciel syrien. Cette prétention avait déjà été quelque peu entamée par l’aviation israélienne bombardant les forces du Hezbollah en Syrie. Mais elle était justifiée à Moscou par une coordination étroite entre Vladimir Poutine et le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou.
Même si Washington indique avoir prévenu Moscou afin d’éviter un incident militaire (des militaires russes sont présents sur de nombreuses bases militaires syriennes), ce coup de force perce un parapluie russe dont la fonction première était de neutraliser toute intervention occidentale contre le régime de Bachar el-Assad. Le secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson devrait recevoir un accueil beaucoup plus froid que prévu lors de sa première visite à Moscou les 11 et 12 avril prochains.