Essen, 10 avril 2000. Un parterre d’hommes applaudit à tout rompre. Sur la tribune, une femme pâle en blaser à rayures, un peu gauche, un bouquet dans chaque main, sourit. Angela Merkel vient de prendre la tête de la CDU, après s’être débarrassée de tous ses concurrents masculins. Pas impliquée dans le scandale des caisses noires du parti, elle est la solution transitoire idéale pour sortir la démocratie chrétienne de la crise. Douze ans plus tard, la «Femme la plus puissante de la terre», selon le magazine Forbes, est toujours à la tête de la CDU. Au sommet de sa popularité, elle dirige la première économie de la zone euro depuis sept ans et a toutes les chances d’emporter un troisième mandat le 22 septembre prochain, date des prochaines élections générales.

Lundi soir à Hanovre, Angela Merkel a ouvert le congrès qui la reconduira triomphalement à la tête de son parti. Seule inconnue: fera-t-elle mieux qu’en 2000, où elle avait obtenu 90,4% des voix? Tsarine de l’Europe aux yeux de ses concitoyens, chef de gouvernement le plus populaire du pays depuis la Seconde Guerre mondiale avec 68% d’opinions positives, la «chancelière Teflon», comme l’appellent ses détracteurs, semble résister à toute usure du pouvoir.

La vague de défaites électorales subie par son parti depuis des mois semble même ne pas lui faire ombrage. La CDU a perdu coup sur coup les élections régionales du Bade-Wurtemberg et de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, ne dirige plus qu’une seule municipalité (Düsseldorf) parmi les 10 plus grandes villes d’Allemagne et vient de perdre la mairie de Karlsruhe dimanche dernier. «Les départs de Kohl ou de Schröder ont été précédés par une série de défaites aux élections régionales, rappelle le politologue Gero Neugebauer, de l’Université libre de Berlin. Avec Merkel, rien de tel. Rien ne semble l’atteindre. Là où Schröder s’est mis à paniquer, précipitant sa défaite, elle semble inatteignable.» Angela Merkel en sphinx, au-dessus de la mêlée. Cette image rassure les Allemands, au milieu des turbulences de la crise de l’euro.

Au sein du parti, par contre, l’ambiance est plus morose. Bien des députés craignent de ne pas être réélus. La CDU n’est créditée que de 37 à 39% des intentions de vote et perdra selon toute vraisemblance son allié actuel, le Parti libéral FDP, qui pourrait ne pas atteindre le quorum des 5% d’intentions de vote. Sans majorité au Bundesrat, le gouvernement actuel semble paralysé.

«Bien des électeurs de base et des délégués ont perdu leur orientation, rappelle Gero Neugebauer. Avec Merkel, la CDU a tourné le dos à beaucoup de piliers de la démocratie chrétienne: le nucléaire, le service militaire, la sélection précoce à l’école.» Et d’autres piliers pourraient bientôt tomber: la ministre du Travail, Ursula von der Leyen, réclame l’instauration d’un salaire minimum et d’un quota imposé aux entreprises de promouvoir 30% de femmes aux postes de direction, deux positions rejetées par la chancelière.

Au congrès de Hanovre, quelque 840 motions seront débattues. L’une d’elles fait d’ores et déjà couler beaucoup d’encre. Un groupe de 13 députés, dits les «13 sauvages», réclame une modification des droits fiscaux en faveur des couples homosexuels, pour tenir compte de plusieurs avis rendus par la Cour constitutionnelle. Dans le Bild Zeitung du week-end, Angela Merkel s’est personnellement opposée à cette motion. «La CDU doit continuer à se moderniser si elle veut regagner l’électorat des villes», plaident les «13 sauvages».

Jadis dominée par les hommes catholiques du sud de l’Allemagne, la CDU est aujourd’hui dirigée par une femme, allemande de l’Est et protestante, divorcée et sans enfants. Bien des militants ne s’y reconnaissent pas. «Mais tant que l’économie se porte bien, tant que le chômage ne galope pas et tant que la crise de l’euro ne dégénère pas, Angela Merkel n’est pas menacée», estime Gero Neugebauer.

Un temps dopé dans les sondages par l’élection de Peer Steinbrück pour affronter la chancelière, le SPD stagne depuis des semaines à 23% d’intentions de vote, et pourrait être contraint de rejouer en 2013 le rôle de junior partner de la CDU qu’il avait tenu dans le premier gouvernement Merkel, entre 2005 et 2009.

L’image de la chancelière en sphinx au-dessus de la mêlée rassure les Allemands