« […] Ce qui inquiète ici, [à Bonn], c’est l’importance croissante que l’on attache partout aux différents problèmes du désarmement. Les Américains souhaiteraient «une Europe contrôlée de Paris à Leningrad» […]. La formule que l’on paraît retenir est celle du désarmement par le réarmement, formule qui n’est qu’apparemment contradictoire. […] On semble redouter dans les milieux politiques allemands que le triomphe, même momentané, de cette nouvelle thèse ne bouleverse complètement les données des problèmes, notamment en ce qui regarde la réunification de l’Allemagne.

Jusqu’ici, il était considéré comme acquis qu’aucun accord ne serait conclu avec l’Union soviétique qui ne rétablirait pas préalablement l’unité germanique. En est-il encore de même aujourd’hui? Qu’arriverait-il si, à la suite de la création d’une zone diluée de 1000 kilomètres de profondeur, les Américains, poursuivant leur idée, se retiraient dans le Midi de la France, créant ainsi une vacuité équivalant presque à l’abandon total de l’Europe? Si les Allemands éprouvent des craintes, c’est qu’ils ont peur qu’on leur «impose» finalement une neutralisation dont ils ne veulent pas, du moins dans les sphères dirigeantes.

Cette question jouera un grand rôle lors des conversations que M. Adenauer aura, à Washington, avec le président Eisenhower entre le 23 et le 29 mai. Maintenant que l’on parle, dans différentes capitales, d’acheter le concours des Soviets en faveur d’un désarmement «progressif» par une reconnaissance du statu quo européen, soit de la coupure de l’Allemagne et de l’annexion des satellites, il en est, à Bonn, qui s’interrogent pour savoir si, en adoptant l’attitude qu’on y a observée ces dernières semaines, on n’a pas mis le doigt dans un guêpier.

[…] Les diplomates étrangers accrédités à Bonn […] croient que le postulat numéro un de la politique étrangère fédérale est devenu le désarmement. […] Ce n’est pas au moment où ils affectent d’être tous d’accord pour dénier à l’Oder-Neisse le caractère d’une «frontière de la paix» acceptable, que les Allemands pourraient envisager de reconnaître nolens volens l’Elbe comme frontière, la coupure comme définitive et la reconnaissance de la République populaire est-allemande. En déchaînant les passions partisanes, […] les Allemands s’évertuent à chasser Satan pour le remplacer par Belzébuth. »