«Le vrai Printemps arabe est en train de commencer»
égypte
Très fin connaisseur de l’Egypte, où il a passé le plus clair de sa vie, le Suisse Alexandre Stärker, est le conseiller en gouvernance d’Amr Moussa, candidat défait à la présidentielle éyptienne de 2012, ancien ministre des Affaires étrangères sous Hosni Moubarak et ex-chef de la Ligue arabe. Entretien
Excellent connaisseur de l’Egypte, où il a passé le plus clair de sa vie, le Suisse Alexandre Stärker est l’ancien conseiller en gouvernance de l’opposant libéral Amr Moussa, candidat à la présidentielle égyptienne de 2012 et ancien chef de la Ligue arabe.
Le Temps: L’Egypte est-elle le théâtre d’un coup d’Etat?
A lexandre Stärker: Non, un coup d’Etat, c’est lorsque des dizaines d’officiers prennent le pouvoir comme en 1952. Nous venons d’assister à la plus grande manifestation de l’histoire du monde, avec des millions de personnes dans les rues. A 80%, elles ont manifesté non pas contre les Frères musulmans en tant que tels mais contre leurs promesses non tenues. Le fait que la présence des officiers soit réduite au minimum dans ce Conseil temporaire de transition qui accueille des civils démontre bien que ce ne sont pas les militaires qui prennent le pouvoir.
– L’homme clé de cette transition est pourtant bien le général Abdel Fattah al-Sissi.
– Ce n’est pas lui. L’homme clé, c’est Mohamed ElBaradei (Ndlr: ex-chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique et meneur de l’opposition). Les médias occidentaux se sont trompés: ce n’est pas Al-Sissi qui tient le gouvernail, mais bel et bien les jeunes. Le vrai Printemps arabe est en train de commencer.
– Les Etats-Unis ont-ils tenté d’influencer la transition?
– Quand vous achetez une boîte de thon et qu’elle se révèle avariée à la première fourchette, allez-vous manger toute la boîte de thon? C’est le problème qui se pose à l’Egypte; elle est une démocratie en construction. Washington tenait à l’image d’un Morsi en président élu, sans vouloir regarder la réalité du terrain. Depuis 2011, 5000 enfants naissent chaque jour en Egypte, ce qui veut dire que 5 nouvelles écoles de 1000 élèves doivent être construites quotidiennement. Ce défi comme les autres n’est pas compatible avec l’idéologie des Frères musulmans. Il faut, en Egypte, que les citoyens puissent prendre des décisions.
– Amr Moussa jouera-t-il un rôle dans la transition?
– Mohamed ElBaradei a été désigné porte-parole du Front national de salut, allié à Tamarod (ndlr: «rébellion», le mouvement qui a fait circuler une pétition pour demander une présidentielle anticipée). Amr Moussa dit que si le régime change, il sera un Egyptien heureux. Il reste en Egypte et considère qu’il n’a plus de rôle à jouer, sauf si on l’appelle.
– Pensez-vous que les salafistes peuvent tirer profit de la chute des Frères musulmans?
– Le parti Al-Nour est allié à ceux qui renversent Morsi. Une autre partie des salafistes sont beaucoup plus radicaux. Ils doivent se préparer à passer de mauvais moments. On peut dire, en gros, que l’aventure de l’islam politique en Egypte, si elle n’a pas tourné court, est en nette perte de crédit.
– De quoi a besoin l’Egypte pour sortir de l’instabilité?
– Le prochain premier ministre doit à tout prix être un économiste, un technicien. Dans les quatre ans, l’Egypte aura besoin de 100 milliards de dollars pour remettre la machine économique en marche. Elle n’a été ni cassée, ni détruite depuis le départ d’Hosni Moubarak. Mais il faut qu’un climat de confiance s’installe. Sous trois mois, il ne doit plus y avoir de coupures d’électricité, l’essence et le pain doivent revenir partout. Sous Morsi, même les pays arabes s’étaient détournés de l’Egypte. Certains pays du Golfe attendaient son départ pour y investir.