Le message n’a cessé d’être mis en avant, vendredi, par les médias russes. Il date de 2013, et il émane du compte Twitter de Donald Trump, à l’époque simple citoyen américain: «Encore une fois, à notre leader insensé, n’attaquez pas la Syrie – Si vous le faites, beaucoup de très mauvaises choses vont arriver. Et les Etats-Unis n’ont rien à gagner dans ce combat.» Ce message s’adressait à Barack Obama, alors que celui-ci était à deux doigts de réagir militairement à «l’attaque chimique» menée à l’époque par le régime syrien sur la Ghouta, dans la banlieue de Damas. Moins de trois mois après son arrivée à la Maison-Blanche, Donald Trump est-il devenu à son tour le «leader insensé» qu’il décriait alors?

Volte-face de Trump

Lancés de deux navires de guerre américains, 59 missiles Tomahawk sont allés s’abattre, la nuit de vendredi, sur la base aérienne d’Al-Chaayrate, près de la ville syrienne d’Homs. Justifiant cette opération, Herbert Raymond McMaster, le conseiller à la sécurité nationale a précisé que, selon les Américains, c’est de cette base qu’ont décollé les avions qui ont largué mardi des substances chimiques sur la ville de Khan Cheikhoun, causant au moins 89 morts et des centaines de blessés. Le général américain en est venu à assurer que les missiles américains avaient épargné à dessein un bâtiment de la base qui, à l’en croire, servait à entreposer le gaz sarin utilisé mardi.

Cette salve de missiles représente la première attaque jamais entreprise par les Américains contre la dynastie des Assad, que ce soit contre le président actuel ou même contre son père Hafez. Il n’a fallu que 48 heures pour que le retournement soit total pour un président des Etats-Unis qui, fidèle à sa formule «America first», semblait jusqu’ici allergique à toute intervention à l’étranger.

Qu’avait à gagner l’Amérique dans cette opération? Il s’agissait, a noté pour sa part le secrétaire d’État Rex Tillerson, d’éviter une «banalisation» de l’usage d’armes chimiques. Rien à voir avec une «réaction émotionnelle», comme semblaient pourtant le suggérer les propos récents d’un Donald Trump s’alarmant devant l’horreur subie par les nourrissons syriens, «des enfants de Dieu». Mais au contraire, un choix effectué au terme d’un processus de décision collectif que le chef de la diplomatie américaine a pris soin de détailler par le menu. «Le président a pris la décision correcte», a répété Tillerson à au moins trois reprises. En précisant toutefois, pressé de questions par les journalistes américains, que cette attaque ne signifiait pas un changement de politique de Washington à l’égard de la Syrie.

«Personne n’a appelé le président mais l’information nous a été transmise»

Dimitri Peskov, porte-parole de Vladimir Poutine

De fait, comme ont fini par le reconnaître les responsables américains aussi bien que le Kremlin, la Russie avait été pleinement informée de l’imminence du lancement de missiles et de leur objectif. «Personne n’a appelé le président mais l’information nous a été transmise», confirmait le porte-parole de Vladimir Poutine, Dimitri Peskov. Les militaires russes ont donc eu le temps d’évacuer la base et ne déplorent aucune victime. En revanche, Damas évoque la mort de neuf civils syriens. Des images prises d’un drone et retransmises par la Russie, suggèrent que l’armée syrienne aurait eu le temps de mettre à l’abri plusieurs de ses avions avant que les missiles ne s’abattent sur la base. Même si d’autres appareils ont été détruits, et que l’importante base d’Al-Chaayrate paraît avoir été sérieusement endommagée, les dégâts ne semblent pas de nature à compromettre les capacités militaires du régime syrien.

Malgré un climat général de satisfaction dans les rangs des alliés des Etats-Unis, plusieurs Etats ont d’ailleurs laissé percer une certaine frustration devant ces frappes, à l’image du président turc Recep Tayyip Erdogan qui les a jugées «insuffisantes pour protéger le peuple syrien». Quelques heures à peine après l’expédition punitive américaine, des avions syriens ont procédé à des attaques aériennes (conventionnelles) à proximité de la ville de Khan Cheikhoun sans susciter la moindre réaction américaine.

«Nous devons entrer dans une nouvelle phase»

La question d’un éventuel changement de dynamique de la guerre était pourtant dans tous les esprits. Quelle sera la prochaine étape? «Il n’y a pas de plan à long terme», concédaient de concert vendredi les sénateurs républicain Bob Corker et démocrate Benjamin Cardin, tous deux membres de la commission des Affaires étrangères, après avoir été «briefés» par la Maison-Blanche.

Mais au Conseil de sécurité de l’ONU, la représentante des Etats-Unis Nikki Haley se chargeait vendredi de répondre à ceux qui voyaient dans l’opération américaine une simple démonstration de force sans conséquences. «Nous devons entrer dans une nouvelle phase», martelait-elle au cours d’une attaque au vitriol contre les Russes et leur «alliance mal placée» avec le régime syrien. «Notre réponse (militaire) était mesurée, concluait-elle. Mais nous sommes prêts à faire beaucoup plus.»


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