La marée noire en Louisiane n’est pas encore visible. Quelques traces irisées, deux oiseaux mazoutés recueillis ce week-end, une flotte entière de bateaux de pêche immobilisés par précaution. Impossible de dire quand la nappe de pétrole viendra inonder les marécages de cette lagune naturelle.
Jack Bohannan, responsable du parc naturel du Delta, ne veut pas hurler au loup. Tout juste débarqué de son petit hors-bord, il vient de superviser une équipe pour rallonger les 270 000 pieds de barrières flottantes déjà existantes, en plein milieu de la rivière Mississippi. «On installe un deuxième type de barrière, dont la matière absorbe le pétrole. On fait tout ce qu’on peut pour éviter le pire.» La tempête qui continue de se renforcer durcit la tâche des travailleurs et fragilise l’étanchéité des longues bouées orange.
23 000 pêcheurs menacés
L’enjeu: protéger les 17 000 nids de pélicans bruns, espèce d’oiseaux migrateurs déjà fragilisés par Katrina, qui pondent dans les branches hautes des mangroves. L’écosystème fragile des bayous rend possible tout scénario catastrophe. Jeff Dorson, membre de la Société des animaux de Louisiane, pense que «l’impact va être horrible sur la faune et la flore. On a des zones d’eau et de racines mêlées qui risquent de retenir le pétrole, juste là où les crabes, les crevettes viennent déposer leurs œufs.»
Depuis samedi, toute pêche est interdite dans la zone sud-est de la rivière Mississippi. Pour Ross, pêcheur de crevettes, la saison de la pêche qui dure de mai à décembre n’aura pas eu le temps de commencer. «On peut gagner en moyenne 245 000 dollars sur six mois. J’ai empoché une fois 460 dollars en une seule nuit, si tu fais du requin ça rapporte encore plus.» Ross fait partie des 23 000 pêcheurs à vivre des richesses piscicoles du delta. Grâce au golfe du Mexique, la Louisiane récolte un quart de la consommation des Américains en fruits de mer et poissons.
Ces pêcheurs ont seulement l’espoir d’échanger un mal pour un bien. Depuis trois jours, British Petroleum invite tous les propriétaires de bateaux à se joindre à l’effort pour contenir la nappe de pétrole. Réunis au collège de Boothville, des centaines de travailleurs affluent, en bottes, la mine grave. «Vous êtes les mieux placés puisque vous connaissez les méandres du bayou comme votre poche», lance le représentant des pêcheurs de crevettes. Chaque volontaire est rémunéré par la compagnie pétrolière de 1150 à 1500 euros par journée de 12 heures selon la taille du bateau, une somme qui lui sert aussi à payer son équipage. Comme tous les autres, Ross a récupéré un épais contrat qu’il doit lire et signer. «Ce n’est pas de ma faute mais c’est mon problème maintenant. Il y a une crise et si on ne nettoie pas ça, on est foutu», dit-il.
Dans les différentes réunions, les visages sont tendus et la colère assez visible. «Les barrages flottants ne sont pas suffisants, pourquoi ne feraient-ils pas exploser le puits avec un sous-marin?» lance un homme. «Tout est à envisager», répond la porte-parole des gardes-côtes.
Protéger BP
Partout la coopération entre les équipes locales et BP s’affiche de façon harmonieuse. La région doit aussi beaucoup au pétrole, autre richesse de la Louisiane. «Surtout ne nous punissez pas. Mettez en place des réglementations, mais n’interdisez pas les forages en mer», répète le président du comté aux organismes fédéraux.