En fin de journée, une manifestation de plusieurs centaines d’étudiants se forme sur la place du Peuple, le cœur d’Urumqi, pour demander au gouvernement de mener une enquête afin de comprendre dans quelles conditions, le 26 juin, deux ouvriers d’ethnie ouïgoure ont été tués lors d’affrontements avec des Chinois Han dans une usine de jouets de la province de Canton (sud-est).
Ces bagarres avaient éclaté après que des membres des deux communautés se furent mutuellement accusés d’avoir violé, ou tenté de violer, une femme de leur ethnie respective. La manifestation à Urumqi est dispersée dans des conditions discutées: la police s’est-elle montrée particulièrement brutale? C’est ce que disent nombre d’Ouïgours, tandis que les autorités affirment avoir «convaincu» les étudiants de mettre fin à leur rassemblement. C’est ensuite que la situation a dégénéré.
Comment et pourquoi la manifestation a été décidée?
D’après des témoignages, que Le Monde a recueillis le 8 juillet à l’Université d’Urumqi – où tous nos interlocuteurs ont nié avoir participé à la manifestation du 5 juillet –, une lettre ouverte circulait sur Internet depuis plusieurs jours. Selon un doctorant, ce document, adressé à Nur Bekri, le président de la Région autonome ouïgoure du Xinjiang, demandait précisément au plus haut responsable turcophone de la région – le numéro un local, chef du Parti communiste, est un Chinois Han – qu’une enquête soit diligentée sur l’affaire de Canton. La lettre est restée sans réponse. Quelqu’un a alors eu l’idée du rassemblement «pacifique», comme le dit notre interlocuteur.
Selon des observateurs à Pékin, les autorités étaient parfaitement informées du fait que quelque chose allait se passer dimanche. La colère exprimée par de nombreux internautes ouïgours annonçait des troubles. Le zèle démontré par les responsables du Ministère des affaires étrangères à l’égard de la presse étrangère prouve bien que les émeutes de dimanche n’ont sans doute pas totalement pris les autorités par surprise. Le 6 juillet dans la soirée, soit moins de vingt-quatre heures après les affrontements, les journalistes arrivant à Urumqi disposaient déjà d’un hôtel avec lignes Internet spéciales, et des CD montrant les images de violence de la veille.
Un parallèle avec le Tibet?
Le déroulé des événements présente de curieuses similitudes avec les émeutes de Lhassa, au Tibet, le 14 mars 2008. Ce jour-là, la police va mettre des heures à intervenir, laissant les «casseurs» tibétains s’en prendre aux Chinois Han. Même scénario à Urumqi: des témoins han et ouïgours habitant dans le quartier, autour de la rue Zhongwan, racontent aujourd’hui que les paramilitaires de la police armée populaire (PAP) ont mis six heures à arriver sur place.
Selon des témoignages recueillis par Associated Press, des émeutiers ouïgours s’étaient positionnés dans la grand-rue derrière un barrage de sacs de ciment et demandaient aux automobilistes s’ils étaient Han ou Ouïgours. Les premiers étaient alors frappés ou leur véhicule détruit.
Quelles sont les victimes?
Le premier bilan fait état de 156 morts et 1080 blessés, dès le lundi. Dimanche 12 juillet, le gouvernement actualise alors les chiffres: 184 morts (137 sont des Han, 46 sont Ouïgours, le dernier est un Hui, une autre minorité musulmane de Chine) et 1680 blessés. Le 8 juillet, à l’Hôpital du peuple d’Urumqi, un médecin nous avait donné un bilan aux semblables proportions.
Sous le sceau de l’anonymat, ce même médecin avait reconnu que beaucoup d’Ouïgours avaient été blessés par balles. Il s’avère donc que les premières victimes étaient bien des Han attaqués par des Ouïgours et que nombre de ces derniers ont vraisemblablement été blessés ou tués par les balles de la police. Le médecin a de plus ajouté que 32 personnes (24 Ouïgours et 8 Han) avaient été hospitalisées le 7 juillet au soir, le jour où des milliers de Han avaient défilé en ville pour prendre leur revanche. Trois de ces blessés sont morts. Aucun bilan officiel n’a inclus ces chiffres.