Réalisateur à la TSR depuis 1971, Bertrand Theubet travaille actuellement pour Temps présent. Il a réalisé Le pied dans la fourmilière, coécrit avec Bernard Comment.
– Bertrand Theubet: A l'origine du film, il y a le concours organisé par la SSR en 1995, «Idée suisse», en prévision du 150e anniversaire de l'Etat fédéral. J'ai trouvé que le livre de Bernard Comment, Les Fourmis de la gare de Berne, approchait bien ce thème. Nous avons fait une proposition parmi les 79 projets déposés et elle a été retenue, ce qui nous a permis d'obtenir un crédit pour l'écriture.
Le Temps: Comment avez-vous développé votre sujet?
– Nous étions partis sur la base d'une fiction, puis nous avons enquêté. Après avoir rencontré de nombreuses personnalités, de la BNS comme de l'armée, nous nous sommes rendu compte que les protagonistes réels se révélaient beaucoup plus intéressants que la fiction.
– Leurs réactions devaient être mitigées…
– Pas vraiment. La plupart étaient très enthousiastes à l'idée d'observer un billet de banque en entomologiste, avec un regard très naïf sur notre pays. Pour ce qui est des militaires, nous avons rencontré des érudits qui posaient le problème d'une manière nouvelle, en terme de patrimoine. Et nous avons pu découvrir des fortifications que personne n'avait vu auparavant.
– Au terme de ces deux ans de travail, quelle analyse tirez-vous de l'establishment helvétique?
– Pour ce qui est de la BNS, l'impression qu'ils ne ratent aucune occasion pour se mettre un autogoal. C'est une vieille histoire: ils avaient des problèmes dans les années 30 avec un tableau de Hodler utilisé pour un billet.
Puis en 1939, ils décident de confier une série à Hans Erni, qui dessine de très belles esquisses. Mais en 1944, un parlementaire s'emporte en arguant du fait que «l'on ne peut faire signer un billet par un communiste». Et la série est annulée! Plus près de nous, il y a eu l'affaire du billet de 1000 francs Forel, puis celle de Burckhardt. Et la BNS choisit justement de sortir cette coupure le 1er avril…
– Ces gaffes renvoient-elles à un problème identitaire?
– Bien sûr. On cherche désespérément des figures communes, fédératrices. Mais on n'y parvient pas, car on continue de confondre mythes nationaux et histoire.
Ce n'est pas faire injure à la BNS de dire qu'en matière historique, elle ne fait pas son travail. Elle n'a d'ailleurs pas d'archiviste. Si l'on veut étudier une page de son passé, il faut traverser un pont et entrer à la Bibliothèque nationale…
Ce qui a une influence sur le présent: durant le débat [diffusé ce soir après le film], des collégiens genevois m'ont reproché de n'avoir abordé que des «clichés», à propos de l'armée ou de la protection civile. Ils ne se rendent pas compte à quel point ces mythes nationaux sont encore vivants.
Propos recueillis par Nicolas Dufour