Il faut concentrer rapidement les opérations dont les études internationales démontrent clairement que leur résultat est lié au nombre, affirme Pierre-Alain Clavien, médecin-chef du service de chirurgie et transplantation de l’hôpital universitaire de Zurich. Les informations chiffrées qui manquent sur le paysage hospitalier suisse doivent aussi être recueillies. Mais il serait faux d’attendre de les avoir pour agir.

Le Temps: Un bon chirurgien dans un petit centre, c’est impossible?Pierre-Alain Clavien: Il faut préciser qu’on parle de chirurgie hautement spécialisée. A peu près 95% des opérations que l’on fait aujourd’hui n’ont pas besoin d’être concentrées dans des centres spécialisés. Les résultats sont pratiquement les mêmes dans les petits centres. Par contre, les statistiques d’un centre qui fait trois ou quatre opérations hautement spécialisées par an ne sont pas interprétables: elles sont purement aléatoires. La qualité du chirurgien n’est pas remise en cause, mais elle ne suffit pas, si elle ne peut pas s’appuyer sur les compétences de tout un service, incluant notamment l’anesthésie, les soins intensifs et les soins infirmiers spécialisés. Seul un hôpital avec un certain volume d’interventions et une politique d’excellence au niveau de son administration peut assurer les meilleures conditions.

– Que faire, alors?

– Il faut agir en deux étapes. Premièrement, sur la base de données indiscutables, nous devons décider du nombre de centres dont la Suisse a besoin ou du nombre minimum de cas qu’un centre doit avoir pour être autorisé à pratiquer cette chirurgie à haut risque, tout en tenant compte des spécificités de la Suisse comme les différentes régions linguistiques. Deuxièmement, lorsque la stratégie est clairement définie, nous pourrons nous lancer dans le choix des centres. Il est clair que ceci doit être associé à la libre circulation des patients, qui entrera en vigueur en 2012.

– Repousser le choix du centre ne changera pas le fait que la concentration renforcera ceux qui sont déjà les plus importants…

– C’est inévitable: pour le bien des patients, nous ne pouvons pas créer artificiellement un nouveau centre spécialisé dans la chirurgie du foie, du pancréas, de l’œsophage ou autres quand il faut des années pour mettre en place une équipe interdisciplinaire et acquérir un matériel spécialisé souvent très coûteux. Ceci ne doit pas limiter l’accès des patients aux hôpitaux de proximité pour toutes les autres interventions chirurgicales. Ces hôpitaux jouent également un rôle important dans la formation des jeunes médecins. La chirurgie suisse doit se réorganiser en réseau, si possible autour d’un hôpital universitaire avec une circulation des patients, des médecins en formation, mais pas des spécialistes, car ils ont besoin derrière eux de toute une structure pour obtenir de bons résultats dans les cas de chirurgie difficile. Dans ce réseau, un patient doit pouvoir se déplacer pendant la phase aiguë de sa prise en charge et bénéficier d’un bon suivi dans son hôpital de proximité en lien avec l’équipe qui l’a opéré dans le centre hautement spécialisé.

– C’est une médecine très planifiée que vous décrivez là…

– En règle générale, je suis pour une médecine de marché avec libre choix pour les patients et les médecins en fonction de leur formation. Mais dans ce domaine précis de médecine hautement spécialisée, cela n’est plus possible, à moins que l’on se cache la tête dans le sable. Il faut concentrer et évaluer régulièrement les résultats à l’aide d’une agence fédérale indépendante. Seule cette stratégie permettra de garantir la qualité, de contrôler les coûts et de comparer nos résultats avec d’autres centres internationaux.