Cliquer sur le shampoing, les brosses à dents, le PQ, les biscottes, le lait ou les pâtes et se faire livrer chez soi: ce sera possible dans toute la Suisse dès la semaine prochaine. Début avril, la première cyberépicerie du pays ouvrira ses portes automatiques, ou plutôt son site.

A portée de souris depuis toute la Suisse mais entreposés à Lausanne, 1500 articles seront proposés sur www.le-shop.ch. «Il y aura tout ce qu'on trouve dans une grande épicerie de quartier», résume Christian Wanner, responsable marketing de l'entreprise. Mais pas encore de produits frais (beurre, fromage, yaourt), ni de fruits et légumes, à cause de la conservation et des chocs pendant le transport.

«Le Shop s'adresse aux citoyens modernes, sous pression, qui n'aiment pas gaspiller leur samedi matin à faire une activité ennuyeuse comme les courses», poursuit le jeune commercial, un ancien de chez Procter & Gamble. Chaque produit s'accompagne d'une image et d'un court descriptif disponible en allemand, en français et en anglais. Les prix correspondent environ à ceux des épiciers de quartier. Pour 9 francs, quelle que soit la quantité de marchandises commandées, la livraison se fait le lendemain par la poste. «Nous utilisons le système Dispobox: le transport se fait dans une grosse boîte en plastique que le facteur reprend. Le client reçoit directement ses cabas et n'a rien à entreposer», détaille Christian Wanner. Le paiement s'effectue pour l'instant par carte de crédit, prochainement par Postcard ou sur facture. La sécurité de la transmission du numéro de la carte est garantie par le standard SSL. Le client reçoit ensuite un nom d'entrée et un mot de passe valable pour les commandes.

Si le projet Le Shop peut paraître audacieux, il reste précurseur d'une nouvelle façon de faire ses achats. Aux Etats-Unis, la librairie amazon.com connaît un succès extraordinaire avec la vente de bouquins dans le monde entier, de même que Auto-by-tel qui, en partenariat avec des concessionnaires de tout le continent américain, vend des voitures depuis le réseau. Par contre, les expériences de vente de produits d'épicerie sont relativement rares. IBM avait tenté de lancer un shopping-mall en France baptisé Surf & Buy, sans succès: il a fermé boutique à la fin de l'année passée. Sur le même site, on trouvait des dizaines d'échoppes différentes côte à côte: du caviar-champagne-chocolats de chez Fauchon aux produits de beauté d'Yves Rocher. «Ce concept de grande surface n'a aucun sens sur le Net, explique le promoteur de Le Shop. Puisque, d'un clic de souris, un internaute peut de toute façon changer de magasin.»

Mais pourquoi avoir choisi l'alimentaire, et non pas des marchandises plus faciles et moins chères à transporter comme les chaussures, les disques ou les parfums? «Tout est dans le plaisir, poursuit Christian Wanner. Les Suisses aiment bien aller flâner dans une librairie ou tester des parfums dans un centre commercial. Mais empiler des couches dans un chariot en même temps que tous les autres citoyens du pays représente une horreur pour une grande partie d'entre eux.»

Le Shop n'est pas la seule initiative de cyberépicerie suisse. La Migros met actuellement en place son site de shopping en ligne dont l'ouverture est prévue pour ce printemps. Une expérience pilote fonctionne déjà pour les collaborateurs de l'entreprise à Zurich et à Berne. Mille deux cents produits sont proposés sur le réseau, dont 70% dans l'alimentaire, y compris le fromage et les légumes. Si la commande est effectuée avant midi, les marchandises sont livrées entre 16 et 19 heures, selon le désir du collaborateur, pour 17,50 francs. Pour éviter les frais de livraison, il peut aussi aller chercher soi-même ses cabas déjà préparés dans le magasin Migros du coin pour seulement 5 francs. «Ces prix ne sont pas définitifs, explique Karin Hartmann, responsable du commerce électronique de la Migros. Mais nous pensons qu'ils ne sont pas trop élevés, si l'on tient compte du temps gagné.»

Pour le commerce virtuel, l'obstacle principal reste le monde réel, c'est-à-dire la livraison des produits. Car, si l'on commande par ordinateur, il faut une présence humaine pour réceptionner la marchandise le lendemain matin. Un problème par exemple pour les célibataires ou les couples qui travaillent, justement gros utilisateurs d'Internet.

«Notre système permet de laisser directement une note au facteur pour que le colis soit déposer devant la porte, chez un voisin ou chez le concierge, propose Christian Wanner. Mais, en fonction des besoins et de la répartition de nos clients, nous envisageons d'autres modes de livraison comme des commandes groupées dans une même entreprise ou des boîtes à lait commune pour toute une maison.»

Le Shop a été mis en place en six mois. Les trois entrepreneurs romands ont investi 2 millions de francs, sans compter l'acquisition du stock. Ce montant relativement élevé s'explique par la personnalisation de l'interface informatique. Des offres spéciales sont en effet proposées en fonction des goûts et des achats précédents du client. Basé à Chavanne-de-Bogis, Le Shop emploie cinq personnes, en plus du directeur général, Alain Nicod (un ancien du bureau de consultants McKinsey), et ses deux adjoints, Jésus Martin Garcia et Rémi Walbaum. Le Shop compte enregistrer 15 000 clients en un an et table sur 400 livraisons par jour d'ici à six mois. «Nous n'avons pas d'exemple à suivre, nous naviguons à vue, concède Christian Wanner. En fonction du succès de l'entreprise, nous modifierons notre fonctionnement.»