Les compétitions de jeux vidéo deviennent de plus en plus populaires
Divertissement
Une compétition de jeux vidéo peut réunir des millions de spectateurs en ligne. Un «cyberathlète» suisse témoigne du phénomène

Les compétitions internationales de jeux vidéo deviennent de plus en plus populaires
Divertissement Une compétitionautour d’un jeu peut réunir des millions de spectateurs en ligne
Un «cyberathlète» suisse témoigne du phénomène
Ils s’appellent Flash, Moon, AdmiralBulldog ou Ferrari_430. Et touchent des salaires annuels pouvant dépasser le demi-million de dollars. Ces jeunes professionnels du sport électronique (e-Sports), qui manient les jeux vidéo en réseau jusqu’à dix heures par jour, acquièrent parfois une notoriété sur Internet comparable à celle des stars du ballon rond dans le monde réel. Les compétitions internationales qu’ils animent attirent physiquement des centaines de milliers de spectateurs, et plusieurs millions d’autres sur Internet.
Mathieu Quiquerez, alias Maniac, fait partie des rares Suisses à évoluer au plus haut niveau du sport électronique. Sa discipline: Counter-Strike: Global Offensive (CSGO), figurant au top 5 mondial des divertissements en ligne les plus populaires. Concrètement, il s’agit d’un défi stratégique multijoueurs et de coordination d’équipes, où l’objectif consiste à tuer son adversaire, au gré de divers décors virtuels, avant que celui-ci ne s’en charge. «C’est un first person shooter [FPS]. Une partie à cinq contre cinq dure généralement 45 à 60 minutes», indique-t-il. Couteau, pistolet, arme automatique, grenade: Maniac ne lésine jamais sur les moyens afin de remporter la victoire.
Le joueur de 24 ans, originaire de Porrentruy, évolue au sein d’une écurie française, parmi les meilleures au monde. Il revient tout juste d’un camp d’entraînement intensif à Paris et a remporté dans la foulée un tournoi «mineur» à Valence, devant un public médusé de quelques dizaines de milliers d’individus.
«Ces deux dernières années, l’e-Sports a connu un boom, avec une multiplication de tournois, une surenchère dans les prix à gagner et une professionnalisation de la discipline», témoigne Mathieu Quiquerez. La dernière manifestation majeure de CSGO s’est déroulée cette année en Pologne. Plus de 20 000 personnes y ont assisté – en direct, dans un stade – à des exploits digitaux. Un prochain tournoi important est prévu en août à Cologne. Plus de 12 000 spectateurs sont attendus. Prix pour l’équipe gagnante: 250 000 dollars.
«En ce qui me concerne, je ne vis pas de ma passion pour l’e-Sports», regrette le diplômé en psychologie du travail et des organisations. Son salaire annuel affiché est inférieur à 12 000 francs, seuil au-delà duquel il deviendrait imposable. «Le statut des cyberathlètes n’est toujours pas clair, mais j’ai entendu parler d’avocats qui plancheraient sur nos cas», relève celui qui a commencé à s’entraîner au jeu vidéo à l’âge de 10 ans, est passé professionnel en 2011, pour finalement accéder au statut de prolétaire du sport électronique en janvier dernier.
La nouvelle industrie du divertissement en ligne vaut pourtant son pesant d’or. A en croire le cabinet américain d’études et de conseil iHS, le secteur devrait atteindre, à l’horizon 2018, 300 millions de dollars de revenus publicitaires, soit une croissance annuelle de 50%. Conséquence programmée: l’inflation quasi exponentielle des récompenses à la clé de chaque compétition. La cagnotte 2014 pour Dota 2 – un autre jeu très couru – vient par exemple d’atteindre la barre des 10 millions de dollars. Alors que le chiffre d’affaires 2013 des détenteurs de la licence pour League of Legends – le plus réputé de tous les jeux – est estimé à 624 millions de dollars.
«Il n’existe pas encore de chiffres précis sur ce que l’e-Sports génère comme retombées économiques à l’échelle mondiale», signale Heinrich Zetlmayer, directeur opérationnel de Turtle Entertainment, acteur majeur du sport électronique. «Nous sommes l’équivalent de la FIFA dans la communauté numérique», résume celui qui compte Crédit Agricole parmi ses bailleurs de fonds.
Sa société, fondée à Cologne, en Allemagne, est notamment propriétaire du circuit Electronic Sports League (ESL), où s’affrontent les plus grands «cyberathlètes» de la planète. Elle ne publie pas ses résultats financiers. Mais se targue, à travers l’organisation d’environ quatre compétitions par mois, de connaître une croissance annuelle à deux chiffres. Tout comme le marché international du sport électronique, selon certains sites spécialisés.
Parmi les événements phares d’ESL: l’Intel Extreme Masters (IEM), la plus grande compétition mondiale. Elle se joue sur plusieurs étapes, du continent américain à l’Asie en passant par Katowice, en Pologne. Mathieu Quiquerez s’y est d’ailleurs déjà produit. La prestation s’est déroulée dans une patinoire, face à 11 000 spectateurs.
Les débouchés les plus porteurs pour le sport électronique sont la Chine, suivie des Etats-Unis et de la Corée du Sud. «Nous sommes passés d’un marché de niche à celui de toutes les convoitises», commente Heinrich Zetlmayer, qui se félicite d’avoir peu de concurrents directs. Parmi les promoteurs de cette industrie, on peut citer, outre ESL, une autre entité hégémonique: l’américain Major League Gaming (MLG).
Le modèle d’affaires de cette industrie montante est calqué sur celui des grandes compétitions sportives traditionnelles. Il se nourrit du sponsoring, de la publicité, du merchandising (vente de jeux), de la rediffusion, de la billetterie, du co-branding et autres partenariats. D’où une forte sensibilité conjoncturelle, qui régulièrement se répercute directement sur sa rentabilité et sa capacité à se financer.
Pour l’heure, le créneau attire de grands annonceurs (Intel, IBM, Red Bull, Microsoft, etc.). Voire des poids lourds industriels n’ayant rien à voir avec l’informatique, comme Coca-Cola. Succès auquel il faut ajouter la caisse de résonance que représente le streaming.
La lecture et la diffusion en continu de compétitions électroniques, source d’audiences qui se quantifient par millions, sont devenues le nerf de la guerre pour l’e-Sports. Ce n’est donc pas un hasard si YouTube semble prêt à débourser 1 milliard de dollars pour s’offrir Twitch, un leader dans ce domaine. Cette plateforme aurait par ailleurs fait préalablement l’objet d’une offre de rachat par Microsoft. Chez Dailymotion, l’e-Sports a supplanté l’actualité pour devenir la première source de vidéos regardées.
Des multinationales comme Coca-Cola commencentà sponsoriser des tournois majeurs