Eve Online? Un nom peu évo­cateur pour la plupart des internautes. C’est au sein de ce jeu ­massivement multijoueur que s’est déroulée le week-end dernier la plus grande bataille de vaisseaux spatiaux dans le cyberespace. ­Durant plusieurs heures, 4070 joueurs répartis au sein de 2900 vaisseaux se sont affrontés au sein du système solaire 6VDT-H. Créé en 2003 par la société islandaise CCP Games, Eve Online compte 500 000 utilisateurs. Un monde parallèle que décryptent trois spécialistes contactés par Le Temps: Gisèle Arnaud, rédactrice en chef du site Mondes Persistants, Kevin Hottot, rédacteur pour le site PC INpact, et Erwan Lafleuriel, rédacteur pour le site Gameblog.fr.

Comment décrire Eve Online? «Sans être un des premiers jeux massivement multijoueur, il fait partie de la vague des précurseurs et il est celui qui est le plus connu sur le thème de la science-fiction, explique Gisèle Arnaud. Ce jeu a pour particularité d’avoir une économie qui est entièrement dirigée par les joueurs. Ils ont des systèmes d’échange avec des marchés et il est possible de se spécialiser dans la spéculation si on le souhaite. Le jeu est entièrement «PvP» (joueur contre joueur). Enfin, il y a un côté simulation spatiale. Eve Online est un jeu dit «sandbox» (ou «bac à sable»): c’est aux joueurs de créer leurs propres ­activités, de définir leurs propres ­objectifs.» Erwan Lafleuriel complète: «C’est un jeu très adulte, qui a construit sa réputation petit à petit, avec des histoires incroyables comme ces batailles, ou des arnaques en jeu, l’espionnage, la politique, etc. L’économie du jeu (vente, achat, échange) est régulée par l’offre et la demande des joueurs. Ils décideront des batailles et des guerres en cours en se réunissant en corporations, qui à leur tour deviennent des alliances.»

Au sein du jeu, chacun fait ce qu’il veut. «Les industriels récoltent les ressources nécessaires à la construction de nombreux objets. Cela va de l’équipement des vaisseaux jusqu’aux divers modules qui composent une station spatiale en passant par les vaisseaux proprement dits, détaille Kevin Hottot. Il y a également ce qu’on appelle des Traders, qui vont chercher à s’enrichir sur le marché du jeu, et à influer sur les cours de certains objets. On va aussi avoir les adeptes du PvE (Player vs Environment), qui sont également une source importante de matériaux de construction lorsqu’ils recyclent les débris de leurs opposants. Enfin, on va avoir les accros au PvP, qui regroupent là encore plusieurs profils. Les pirates qui viennent s’en prendre aux industriels et aux traders pour leur voler leur cargaison, les anti-pirates, les joueurs engagés dans le Factionnal Warfare, une guerre perpétuelle entre les quatre factions du jeu, et, enfin, les habitants de l’espace hors empire, conquérable par les joueurs.»

Maintenant que le décor est installé, intéressons-nous à l’univers d’Eve Online. «La galaxie est divisée en secteurs plus ou moins sécurisés, explique Erwan Lafleuriel. Dans le centre, tout est tranquille car une armée contrôlée par le développeur CCP s’occupe d’éliminer tout joueur qui en agresse un autre. Mais les ressources rares sont dans les secteurs non policés. Il faut des mineurs pour les récupérer, mais aussi des combattants pour les défendre, des ingénieurs pour monter des structures sur place, qu’il faut aussi ravitailler et protéger. Jouer seul est quasiment impossible. Il faut se joindre à une corporation.»

C’est une bataille entre corporations qui a été déclenchée il y a une semaine. «C’est en fait la conclusion d’un ensemble d’actions ayant eu pour but de contrôler une région de l’espace qui s’appelle «The Fountain», dit Gisèle Arnaud. TEST alliance et l’alliance CFC se «cherchaient» depuis des mois. Propagande, manœuvres, tout était bon pour arriver à prendre le contrôle. Les développeurs d’Eve Online ont ralenti le jeu à 10% du temps normal. Cela permet de gérer les actions des joueurs pendant la bataille. Le chef de TEST a ordonné une bataille jusqu’au dernier debout, ses troupes ne pouvaient donc pas battre en retraite si la bataille tournait mal. Les CFC ont fait le même choix. Les joueurs se sont amassés dans le système 6VDT et se sont préparés pour la bataille. Quand les CFC ont lancé dans le combat leurs vaisseaux «capitaux», qui coûtent très cher à fabriquer, cela a montré combien ils étaient confiants dans l’issue du combat.»

Pour les profanes, la vision des combats était peu limpide. «Sur de telles batailles, oui, il est très difficile de visualiser ce qui se passe à l’écran, mais cela ne nuit pas à la compréhension des ­événements pour les habitués. Une fenêtre dite d’«overview» sur la droite de l’écran permet de voir simplement quels éléments se trouvent à portée du joueur. Il suffit de quelques filtres pour y voir clair, et les joueurs sont habitués à gérer cela. Mais surtout, il y a en parallèle une coordination assurée par des canaux écrits ou vocaux et chacun sait ce qu’il a à faire. Parfois, sur ce genre de batailles, c’est le belligérant avec la meilleure chaîne de commandement qui l’emporte.»

Cette fois-ci, ce sont les CFC qui ont gagné.

«Le chef de TEST a ordonné une bataille jusqu’au dernier debout»