Des films rappellent que Mai 68 fut aussi une révolte contre les médias
RETROSPECTIVE
A Genève, le Centre de l'image contemporaine projette trente ans de films militants destinés à montrer la réalité «autrement». Le CAC-Voltaire et le Ciné-club universitaire complètent l'anniversaire
Que reste-t-il de Mai 68? Si la question se pose en matière politique et sociale, elle a aussi son sens en ce qui concerne l'information, et en particulier la télévision. Les «événements» ont suscité du côté des faiseurs d'images un élan de militantisme. Non pas seulement contre l'autorité politique et sociale, mais aussi contre les médias. Aidés par le développement de la vidéo, légère et intimiste, ils sont allés chercher la vérité dans les usines, les facultés et sur les trottoirs. Eclatée en une multitude de chaînes, la télévision de 1998 n'a bien sûr plus rien à voir avec celle d'il y a 30 ans. En est-elle devenue pour autant un lieu d'esprit critique et de créativité? A Genève, le Centre pour l'image contemporaine, en collaboration avec le Ciné-club universitaire (voir ci-dessous), propose dès mercredi une programmation qui incite à s'interroger. Nous avons rencontré André Iten, directeur du Centre et responsable de ce choix de films militants.
– André Iten: Ce qui m'importait, c'était d'établir un lien entre ce qui s'est passé en 68 et différents moments historiques au cours de ces trente ans. Très vite, j'ai été confronté à l'abondance de la matière, d'autant plus que 68, ce n'est pas seulement mai en France, mais aussi l'assassinat de Martin Luther King, le Vietnam, Prague, la révolution en Amérique du Sud, soit énormément d'événements sur la planète que l'on ne peut pas isoler.
– Le Temps: Comment avez-vous effectué votre choix?
– Ce qui m'a intéressé dans ce travail, c'est de voir à quel point les films qui engagent leur auteur sont toujours également des combats pour la vérité, pour une information autre que celle fournie par les médias qui ont pignon sur rue. Bien sûr, le film militant a commencé avant mais 68 est tout de même l'année d'une explosion. Aussi, pour mai, ce que je voulais montrer ce n'était pas des barricades mais des prises de parole de l'homme de la rue. William Klein promenait simplement sa caméra sur les trottoirs de Paris: il est extraordinaire de voir avec quelle finesse et avec quelle richesse les gens parlaient politique dans la rue, et pas seulement des événements parisiens, mais de ceux du monde entier. Le film militant explore aussi des formes nouvelles. Depardon travaille à partir des photographies de l'agence Gamma au Chili, en 1973. Harun Farocki et Andrei Ujica analysent la fin des Ceaucescu à partir d'archives de la télévision.
– Quels films vous tiennent le plus à cœur?
– Je pense que montrer Le Fond de l'air est rouge, de Chris Marker, ou Mourir à trente ans, de Romain Goupil (en présence du réalisateur, jeudi 18 juin), est très important. Je suis aussi content de ressortir les films de Carole Roussopoulos. Son travail constitue une mémoire de ces trente dernières années. Et aussi une réflexion sur les médias. C'est particulièrement le cas de Genet parle d'Angela Davis. Carole Roussopoulos filme la télévision filmant Genet en train de lire un texte en faveur de la militante noire américaine. On voit comment la télévision n'accepte pas que Genet trébuche sur les mots. Elle veut le mettre en boîte à sa manière. L'écrivain ne rentre pas dans le jeu, s'agace, et lit de plus en plus mal.
– Pourquoi n'y a-t-il pas de films très actuels dans votre programmation?
– Dans les années qui ont suivi 68, il y a eu une profusion de films militants en Europe. On en connaît moins aujourd'hui, peut-être à cause de la fin des idéologies, des grandes tensions entre capitalisme et communisme. Et je crois qu'il y a une démobilisation devant l'événement historique. Johan Grimonprez est le seul jeune réalisateur du programme. Il met à plat des images d'archives sur les prises d'otages dans les avions, durant les années 70. Comme la télévision a tendance à le faire, il traite tous les événements au même niveau. Par la répétition de ce mouvement, il critique le phénomène. Il fait un travail formel en militant de la mémoire des images.
68-98: trente ans de film militant… et quelques restes. Jusqu'au 18 juin au Centre pour l'image contemporaine, rue du Temple 5, mercredi à 19 h 30 (sauf le 6 mai à 20 h 30), jeudi à 21 h. Mercredi 6 mai, William Klein, «Grands soirs et petits matins, 1968/78»; jeudi 7, soirée Carole Roussoupolos en sa présence.