Une parodie sous acide avec Hitler en méchant déflagre sur YouTube

Un jeune cinéaste suédois réalise, grâce à la générosité des internautes, une lettre d’amour aux films d’action des années 80 et 90

Retenez le titre de ce film, Kung Fury, du Suédois David Sandberg, 29 ans. Sélectionné à Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs, il n’a pas spécialement fait vibrer la critique professionnelle, qui y a surtout vu une pochade de potache.

Peu importe, car Kung Fury est un enfant du Web, un vilain petit canard des réseaux sociaux, une Cendrillon du financement participatif, une petite souillon de la culture clip, pub et web réunis: il n’a pas besoin d’avoir l’assentiment des élites pour exister et faire son chemin. Il lui suffit de séduire les internautes.

Avec Kung Fury, pas de nuance: soit ses 31 minutes et 2 secondes vous enthousiasment, soit vous êtes réfractaire à ce genre d’humour ou n’entravez que pouic au festival des allusions – et vous passez votre chemin.

Car Kung Fury fait dans la parodie de tous les films, séries, bandes-son, dessins animés, jeux vidéo et trucages devenus cultes des années 1980, 1990 et début 2000.

David Sandberg y gorille pêle-mêle Blade Runner, Street Fighter, Matrix, Jurassic Park, Miami Vice, K 2000, Dragon Ball Z, Batman, Superman, Timecop, MacGyver, Conan le Barbare et autres Seigneur des anneaux.

Mais le jeune réalisateur remonte encore plus haut dans le temps, avec Bruce Lee et tous les films de kung-fu, 2001, l’Odyssée de l’espace et un David Hasselhoff déguisé en Hoff 9000, l’ordinateur scélérat, en passant par un autre briscard de la parodie très déjantée, Mel Brooks, qui canarda avec la même alacrité Adolf Hitler dans The Producer. Car, oui, Adolf Hitler hante le film de Sandberg, sous l’avatar funeste de Kung Führer.

Enfin, Sandberg étant Suédois, on se paie même une parodie d’un des rares films suédois consacrés à la Deuxième Guerre mondiale, Opération Arctic Fox, où deux tankistes se disputent sur l’aryanité de leur moustache respective. David Sandberg assure n’avoir pas été sous l’effet de psychotropes durant l’écriture et la réalisation de Kung Fury. Faut-il le croire? En tous les cas, c’est avec une parfaite maestria que cet enfant de la génération Y (la première Net-generation) a utilisé tous les fondamentaux du Web pour parvenir à ses fins: trouver de l’argent pour produire et réaliser son projet; utiliser tous les leviers numériques pour le distribuer. Trouver de l’argent? C’est le site de financement participatif Kickstarter qui a été à la manœuvre. L’appel lancé aux internautes a réuni, in fine, près de 630 000 dollars, largement de quoi soutenir le court-métrage.

Capter l’attention des internautes et les inviter à l’action? Ce sont les réseaux sociaux qui ont ici pris la main, à partir du trailer fabriqué en guise de teasing pour Kickstarter. Car, largement répercuté sur Facebook, sur Reddit et sur YouTube, le pitch de Sandberg fait fondre les internautes, d’autant que, comme le dit l’un d’eux, il ressemble furieusement à Johnny Depp. Ils passent donc à l’action et mettent la main à la poche. Un écosystème participatif d’une redoutable efficacité (encore faut-il être en résonance avec les foules!), comme en témoignent de nombreuses réactions, elles aussi postées sur YouTube.

Mais le tricotage médiatique ne s’arrête pas là: l’inénarrable David Hasselhoff, le héros de la série Knight Rider, crée pour l’occasion un clip promotionnel, True Survivor, qui intègre des images de Kung Fury. Avec une pareille rampe de lancement, la renommée du projet et du film explose plus encore.

L’apogée de l’opération est enfin atteint ces jours: le film est officiellement et gratuitement distribué sur YouTube, sur la chaîne de Laserunicorns, où il est immédiatement téléchargé par près de 11 millions de fans. A la philosophie du financement participatif, Sandberg ajoute celle du «share», du partage. Sublime!

Depuis, c’est l’émeute et la perspective d’une deuxième saison pour Kung Fury. Sans parler de la noria de produits dérivés, les articles de décryptage des éléments cultes du film… Et six entrées sur Wikipédia. A fond la passion!