«Les musulmans sont une richesse pour la Suisse.» Le vote du Parlement des jeunes du Jura en faveur de l’initiative anti-minarets, le 19 octobre a fait jaser. Le président de cette assemblée, Nicolas Juillard, se défend d’avoir cédé, en votant avec la majorité, à un réflexe islamophobe. Au contraire: par ses contacts avec des jeunes d’origines diverses, en Suisse ou à l’étranger, il estime avoir gagné une ouverture sur le monde. S’il est pour l’interdiction de ­construire de nouveaux minarets, c’est, dit-il, qu’«un minaret sans ­muezzin ne sert à rien». Et aussi que «nous avons fait notre part; je me demande quand ça sera la leur».

Son collègue Quentin Haas, auteur de la proposition de voter sur l’initiative partage son analyse du résultat: il ne reflète pas la peur de l’étranger. Mais une préparation lacunaire: «J’ai posé la question à froid, et le débat a souffert d’un manque d’information.» Aussi le mot d’ordre ne reflète-t-il pas, selon lui, un parlement qui avait soutenu avec enthousiasme une opération visant à sensibiliser l’ensemble des écoles du canton à la problématique de l’intégration. De tous: étrangers, mais aussi homosexuels, handicapés etc.

Intégration. C’est le maître mot, le catéchisme transversal qui unit, sans doute avec des sens divers, l’ensemble de la classe politique suisse, de la droite à la gauche. C’est aussi, estime Jean-David Cattin, porte-parole des Jeunes identitaires genevois, un vernis destiné à cacher une réalité bien différente. «Le concept de multiculturalité a été forgé par une génération qui a grandi dans une société homogène, qui a voulu jouir de tout, n’a pas fait d’enfants et aujourd’hui vit à l’abri des problèmes qu’affrontent les jeunes. Des classes où les élèves suisses se font insulter, des rackets, des bastons, une insécurité croissante.»

Révolte contre le politiquement correct des adultes, angoisse face à la montée d’une immigration jugée trop différente pour s’assimiler comme les vagues précédentes, peur face à la démographie conquérante des Africains… Jean-David Cattin construit son discours autant sur une réflexion alimentée par sa fréquentation des médias que sur son expérience personnelle, même si cette dernière, assure-t-il, n’a pas été exempte de violences – restées mineures, la banlieue de Genève n’est pas celle de Lyon – dans un Cycle d’orientation où rares étaient les élèves entièrement suisses.

Maurice Amato a grandi dans un quartier semblable, Meyrin, dont il préside aujourd’hui le Parlement des jeunes. Il en a tiré une expérience opposée: «On a tous vécu ensemble, on a tissé des liens amicaux, à l’école certaines filles portent le foulard, cela n’a jamais été un problème.» Bien sûr, concède-t-il, on entend des propos xénophobes, il existe des tensions entre immigrés de vieille date et nouveaux arrivés. Mais les jeunes restent, pour lui, beaucoup plus ouverts que leurs aînés, dont l’expérience de la mixité est moindre. Et d’ailleurs, comment faire autrement quand la plupart ont une double, voire une triple origine et qu’ils se heurtent souvent tous ensemble à la méfiance des adultes?

Plus sensibles à la problématique des migrations, les jeunes? L’UDC est, en tout cas, le premier parti choisi par les 18-24 ans aux élections fédérales de 2007, avec un vote sur trois en progression par rapport à 2003. Un engouement qui diminue entre 25 et 65 ans. Et reste, relève Philippe Gottraux, chercheur à l’Université de Lausanne qui a étudié les motivations des militants UDC, relatif si on le rapporte au choix de 65% des jeunes Suisses de 18-24 ans: l’abstention. Mais qui semble bien pouvoir trouver une explication dans le rapport aux étrangers. «La suspicion à leur égard constitue, avec une conception défensive de la nation, les deux constantes que nous avons trouvées dans nos entretiens.»

Toutefois, relève de son côté le politologue Oscar Mazzoleni, il n’est guère possible de faire une corrélation systématique entre le vote pour des partis qui thématisent négativement l’immigration et le nombre des immigrés. Parfois positif, le lien s’inverse ailleurs, montrant une crainte décuplée dans des régions où l’immigration est quasi inexistante.

Restent des questions concrètes auxquelles les statistiques politiques ne répondent guère. La violence, d’abord. En crue? Non, répond Quentin Haas: «Si j’écoute mes parents, il y avait de leur temps une bataille par week-end, entre Suisses, Italiens, Portugais.» Oui, estime Jean-David Cattin et même si les bandes ne se regroupent pas forcément sur une base ethnique, c’est bien la présence d’immigrés qui favorise les affrontements: «Il peut y avoir un Suisse dans une bande de Kosovars, c’est une forme de mimétisme, ça ne change rien.»

Quentin Haas privilégie l’interprétation inverse: la violence, les bandes sont une constante de la classe d’âge et on se regroupe entre semblables – «Cela peut être l’origine, l’établissement scolaire, la filière d’études, ça ne change rien, c’est toujours le même mécanisme.»

Analyse partagée par Aurore Stoppey. La présidente des Jeunes UDC de la Broye estime, elle aussi, que les jeunes Suisses ont plus de contacts avec des étrangers que leurs aînés mais juge ces expériences «parfois bonnes, parfois mauvaises». Et elle ne «s’avancerait pas à dire que les bagarres sont liées à la présence d’étrangers. S’il n’y en avait pas, on se liguerait sans doute sur une autre base, blonds contre bruns par exemple».

Pour la jeune femme, tout est question d’intégration – on y revient – une intégration qui passe par l’acceptation des règles et des valeurs suisses, notamment en matière d’égalité des sexes. Intégration impossible, estime de son côté Jean-David Cattin, tant que l’immigration continue, augmentant la masse des personnes à intégrer.

Ce n’est pas l’avis d’Albulen Lokaj, président du Conseil des jeunes de la ville d’Yverdon: «En 2001-2002, il y avait des problèmes mais la Ville a mis le paquet et grâce notamment aux éducateurs de rue, ça s’est calmé.» Aujourd’hui, le jeune homme, né Kosovar, a été propulsé à la présidence du conseil sans un accroc. A son arrivée en Suisse, se rappelle-t-il, il avait essuyé «des insultes, des remarques bizarres». Mais «si on va discuter, ça disparaît».