«Benjamin, tu n’aurais pas oublié ta petite séance de jeux vidéo?» «Tu m’écoutes? Pose ce livre tout de suite et allume l’ordinateur.» Ce discours est bien entendu purement fictif et une mère qui tiendrait de pareils propos se ferait traiter de folle. Pourtant, elle aurait raison. Plusieurs études scientifiques ont mis en évidence les effets positifs des jeux vidéo d’action sur le cerveau. Oui, ces jeux a priori bêtes et méchants dans lesquels votre fiston dégomme des zombies ou des soldats ennemis à l’arme lourde sont emplis de vertus. Ils améliorent durablement la vision, l’attention ou la capacité à faire des rotations mentales.

Professeur en neurosciences à l’Université de Genève, Daphné Bavelier a découvert par hasard les effets étonnants des jeux ­d’action en étudiant la plasticité du cerveau des personnes ­malentendantes il y a dix ans. «Un de mes étudiants testait un protocole ­expérimental, raconte-t-elle. Comme il obtenait lui-même des résultats anormalement bons, il a cru qu’il avait commis une erreur dans son code. En fait, c’était un fan de jeux vidéo. En testant ses amis, qui appartenaient au même club, nous nous sommes rendu compte que les joueurs étaient étonnements performants dans certaines tâches.»

Pour vérifier scientifiquement cette hypothèse, la professeure et son équipe ont sélectionné des panels d’individus qui ne touchaient pas le joystick et ont testé leur vision. Ils les ont ensuite assis devant des jeux d’action comme Call of Duty cinq heures par semaine durant 10 semaines. Soumis aux mêmes tests après leur entraînement, les nouveaux joueurs ont obtenu des résultats significativement meilleurs, notamment dans la vision des contrastes et des détails. L’œil n’avait pas changé, mais le cerveau décodait mieux les informations ­reçues. Un progrès utile pour conduire dans le brouillard ou lire de petits caractères par exemple.

Plus étonnant, ce bénéfice est durable. Une fois l’expérience terminée, les cobayes de Daphné ­Bavelier ont été priés de ne plus toucher une console. Mais deux années plus tard, leur vision restait significativement meilleure qu’avant l’entraînement. Leur cerveau avait conservé ses nouvelles capacités. Ce sont les résultats de ces expériences que la scientifique a présentés vendredi au World Economic Forum des nouveaux champions, à Dalian, en Chine.

La lutte armée virtuelle présente une autre vertu intéressante: elle améliore le contrôle ­attentionnel, c’est-à-dire la capacité à se concentrer sur une tâche sans être distrait. Et comme les joueurs captent davantage d’informations dans leur environnement, ils sont plus rapides et prennent de meilleures décisions. Des études ont montré le bienfait de ce type d’entraînement pour les chirurgiens ou les pilotes. «Les joueurs sont capables de détecter de très subtiles irrégularités dans leur environnement et de les utiliser à leur avantage», a confié Jay Pratt, professeur de psychologie à l’Université de Toronto, à la radio publique américaine NPR. «Et ces petites irrégularités sont celles qui déterminent notre comportement dans la vie de tous les jours.»

Certains effets sont moins attendus. Taquiner la manette améliore par exemple la manipulation visuo-spatiale, c’est-à-dire la rotation mentale d’objets en trois dimensions. Un gain assez prévisible pour les fans de Tetris – le célèbre jeu de puzzle –, moins pour les amateurs de tirs sur zombies. Plus étonnants: quand les as de Tetris deviennent extrêmement performants, ils perdent cette compétence générale et ne savent plus manipuler que les formes proposées dans le jeu. C’est le phénomène de la spécialisation. ­Tandis que les champions de jeux d’action gardent des capacités cognitives améliorées qu’ils peuvent transférer à d’autres domaines. Autrement dit, ils restent supérieurs, même pour manipuler des formes qu’ils ne connaissent pas.

L’imagerie par résonance magnétique a permis de pénétrer les méninges des joueurs. Une chercheuse canadienne a montré que le cerveau des amateurs de jeux vidéo présente des similitudes avec celui des musiciens; il est économe. «Un pianiste professionnel ne sollicite pas autant son cerveau que les autres personnes pour faire des choses très compliquées avec ses mains, explique Lauren Sergio. Et nous avons constaté le même phénomène chez les joueurs.» Ces derniers activent davantage le cortex frontal, responsable de l’attention et de la planification, alors que les néophytes utilisent le cortex pariétal, spécialisé dans la visualisation spatiale pour exécuter la même action.

Trucider des êtres virtuels, aussi laids et méchants soient-ils, ­présente aussi des effets négatifs, d’abord sur le plan de la violence. Des études ont montré que jouer à des jeux violents pendant quinze minutes rend les personnes plus agressives pendant les 30 minutes suivantes. Mais il n’est pas prouvé que ces effets soient durables.

Beaucoup de recherches sont encore nécessaires pour connaître les répercussions durables des jeux d’action sur le cerveau. De même que celles des jeux de réseaux comme le très populaire World of Warcraft. Un usage excessif des manettes peut être destructeur, mais là encore, des données scientifiques manquent, en particulier pour les enfants. «Je compare ça avec la nutrition, dit ­Daphné Bavelier. La technologie est une nourriture pour notre cerveau et nous commençons seulement à en comprendre les effets. Il va nous falloir encore plusieurs années pour composer le régime numérique idéal.»