L’économie helvétique sera touchée
Conjoncture
La croissance sera un peu plus faible, mais les taux vont rester au plancher
Le giga-plan de sauvetage des Etats européens endettés et de l’euro permet d’éviter que l’économie mondiale ne retombe immédiatement en récession, comme ce fut le cas à l’automne 2008, lorsque la crise du crédit a «gelé» les relations commerciales entre entreprises, estiment les économistes. Mais la cure d’austérité que devront avaliser les pays du sud du continent, et même la France, reste hypothéquée de nombreuses incertitudes. Elle n’ira pas sans répercussions sur la conjoncture. Décryptage pour l’économie helvétique, qui devrait néanmoins une nouvelle fois mieux s’en sortir que ses voisines.
Moins de tensions sur le franc
Le consensus trouvé à Bruxelles va relâcher un peu les pressions sur la devise helvétique, estime Jan Amrit Poser, analyste à la Banque Sarasin. Le phénomène était déjà observable lundi puisque l’euro valait 1,42 franc dans l’après-midi, contre presque 1,40 jeudi dernier. Ce niveau reste toutefois très élevé, puisque l’euro s’échangeait encore à 1,50 franc en décembre dernier. Tendanciellement, il pourrait d’ailleurs continuer à s’apprécier ces prochains mois, au gré de la volatilité des marchés, qui devraient rapidement s’interroger sur les conséquences concrètes du plan auquel Bruxelles a été acculé, estiment de nombreux économistes.
Reste à déterminer quel sera l’impact de la vigueur du franc sur l’économie réelle. «L’industrie d’exportation helvétique est active dans des activités de niche, à haute valeur ajoutée. Empiriquement, nous avons constaté qu’une variation de 10% du cours de change n’a pas vraiment d’impact sur les livraisons à l’étranger», commente Roland Duss, économiste à la banque Gonet & Cie à Genève. «Le tourisme va en revanche nettement plus souffrir, car il est aisé de substituer un lieu de vacances à un autre», ajoute-t-il.
Moins de demande en provenance de l’UE
Si la monnaie ne cause pas un obstacle insurmontable aux industriels, la baisse de la demande devrait en revanche davantage les concerner. Les hausses d’impôts programmées dans toute l’Europe du sud couplées à une diminution des dépenses publiques – ces deux mesures sont indispensables à la réduction de la dette – pèseront sur les investissements. Les ménages auront moins de revenus disponibles et consommeront donc moins, alors que les collectivités publiques mettront la pédale douce sur leurs dépenses, constate Fabrizio Quirighetti, économiste à la Banque Syz & Co. Au bout de la chaîne, les fournisseurs de machines, sous-traitants automobiles ou même les entreprises actives dans les technologies en pâtiront. Dans quelle mesure? Il est trop tôt pour le dire, d’autant que les Etats-Unis affichent une reprise nettement supérieure à celle que les experts attendaient et que l’Asie continue à être en plein boom. Quand? «Dès 2011 ou 2012», selon Fabrizio Quirighetti.
Des taux collés au plancher jusqu’en 2011
L’aspect positif de cette crise, du point de vue du locataire, du propriétaire et du consommateur, est celui du maintien des taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas. Plus aucun économiste n’anticipe une hausse des taux directeurs en Europe ou aux Etats-Unis avant 2011. «Et ce sera plutôt au deuxième semestre», avance Jan Amrit Poser. «Et la Banque nationale suisse se calquera plus ou moins sur la Banque centrale européenne», ajoute Roland Duss. Conséquence: les taux hypothécaires suisses vont rester aux planchers actuels – un taux fixe à dix ans se négocie à peine au-dessus de 3% actuellement – et le petit crédit va demeurer très bon marché. Le secteur de la construction continuera donc à bénéficier d’un environnement très favorable tandis que la consommation devrait rester dynamique.
Et l’inflation?
Les tenants de l’orthodoxie monétaire l’affirment depuis des années: les excès de liquidités injectées dans le système créeront de l’inflation. «Le danger existe», convient Roland Duss. A ses yeux, la cible des 2% de renchérissement que la BNS considère comme un seuil à ne pas dépasser pourrait être atteinte dès l’an prochain.
Chez Sarasin, Jan Amrit Poser pense en revanche que l’austérité à laquelle sera contrainte la majeure partie de l’Europe – n’oublions pas que la Grande-Bretagne est elle aussi surendettée – «crée un environnement déflationniste». La demande restant faible, les prix ne vont guère monter.
Professeur de politique monétaire à l’Université de Fribourg, Sergio Rossi partage ce point de vue, mais souligne qu’il existe un risque de bulle sur certains actifs. En clair, les taux hypothécaires trop bas pourraient générer une surchauffe dans l’immobilier. La BNS a d’ailleurs elle-même fait part de ses craintes récemment et indiqué qu’elle allait analyser la situation de près. «Je pense et j’espère que les banques ont tiré les leçons de la crise des années 1990», conclut le professeur.