C'est un véritable match de boxe médiatique! Au coin gauche du ring, la rédaction de L'Equipe qui durant des semaines a adressé de lourdes diatribes contre la méthode d'Aimé Jacquet. Aujourd'hui, son patron Jérôme Bureau fait son mea culpa: «Aussi sincère avait été notre défiance il y a quelques semaines […], aussi sincère est aujourd'hui notre envie de féliciter Aimé Jacquet. Puisse-t-il l'entendre ainsi.» A droite du ring, le sélectionneur français, porté par le triomphe de son équipe, laisse saigner ses blessures. «Une certaine presse a menti honteusement. Jamais je ne leur pardonnerai. Je n'ai que mépris pour ces gens-là.» Ces gens-là, ce sont avant tout la réaction de L'Equipe qualifiée de «voyous, irresponsables, malhonnêtes et incompétents» et de détenteurs du «monopole de l'imbécillité». Dans la tribune des spectateurs, le public appuie Jacquet. Et adresse un carton jaune à la presse.

Emmenant alors le peloton des perplexes et des sceptiques, Jérôme Bureau porte aujourd'hui le chapeau de la presse sportive. Les traits tirés et la gorge nouée, il reconnaît ses torts. D'abord sur le plateau de la chaîne LCI. «On s'est gouré», reconnaît-il avec les siens. Et de le redire par écrit à Aimé Jacquet dans l'édition de mardi: «Oui votre victoire sur le Brésil a été une splendeur. Il s'agit du plus grand exploit du sport français. Nous vous rendons hommage. Nous rendons hommage à votre triomphe. Mais rien ne justifie que vous nous traitiez, moi-même et les journalistes de la rédaction, de voyous et malhonnêtes. Rien ne légitime la violence extrême de vos propos. Triste évangile de celui qui prône le lynchage de ceux qui n'ont pas pensé comme vous.»

Dans les propos de Jérôme Bureau perce toute l'amertume d'une rédaction. A Paris, elle encaisse avec douleur la rancune du sélectionneur qui n'en rate pas une pour enfoncer le clou, utilisant à fond les caméras et les micros. «Nous avons été critiques sur la politique de Jacquet. Nous avons lancé quelques Scud. Mais aujourd'hui, ce sont des bombes atomiques qui nous reviennent.» En l'absence de Jérôme Bureau qui a pris congé au lendemain d'une démission refusée par son éditeur, Gérard Ejnès, directeur adjoint de la rédaction, évoque la colère qui se déverse sur L'Equipe. «Le public est chauffé à blanc au 20 heures de TF1. Maintenant, c'est le lynchage. On ne peut qu'en souffrir car c'est sans commune mesure avec ce qui avait été écrit. Nous avons eu des mots durs, mais pas de la sorte. A la critique, on répond par des insultes.»

Depuis lundi, les lettres de lecteurs pleuvent à la rédaction du quotidien qui diffuse, en eaux calmes, quelque 386 000 exemplaires (lundi et mardi, le tirage a été porté à 1 700 000 et 1 980 000 exemplaires). «Jusqu'à la finale, le courrier n'était pas abondant. Les pro- et les anti-Jacquet s'équilibraient. Aujourd'hui, nous recevons des menaces de mort, des téléphones anonymes, des insultes ou des déclarations de prochaine destruction de notre immeuble», explique Gérard Ejnès. «On a l'impression d'être à l'épuration. Tout cela est très irrationnel. Nous avons parfois donné des leçons, c'est vrai. Nous avons mal jugé. Nous ferons notre examen de conscience entre nous. Et ce sera peut-être douloureux. Mais nous n'avons pas à subir ça…»

Durant plusieurs mois, au travers de ses articles et éditoriaux portés par quelques manchettes assassines, L'Equipe a condamné la méthode Jacquet, critiqué la manière, souligné son entêtement à jouer ultradéfensif. Et parfois aussi vomi son profil terne et laborieux. Un titre mondial plus tard, elle s'est retrouvée en porte-à-faux sous les boulets rouges des confrères qui avaient, dans le brouhaha de la liesse naissante, retourné leurs vestes. Fallait-il aller à Cannossa? Le fait de gagner donne-t-il raison? «En politique, non. Mais en sport oui, assure franchement Gérard Ejnès. Le fait de gagner donne entièrement raison à Jacquet. Un palmarès, ça ne bouge pas. Pour l'éternité, la France est devenue championne du monde en 1998, même si elle a joué à la manière de l'Euro 1996. Heureusement, l'équipe était plus expérimentée et visiblement plus motivée.»

Fin de partie? Côté Equipe, la polémique appartient au passé. «Jacquet arrête d'être sélectionneur national. Il sort du jeu. Il ne nous intéresse plus. En disant cela, je n'ai aucun mépris pour lui. Mais les conditions de notre travail changent», conclut Gérard Ejnès. Désormais, dans l'arène, ne restent que les journalistes. Pour compter les derniers coups. Mais aussi pour examiner leur comportement «volontiers nombriliste et péremptoire», selon les mots d'un éditorialiste du Figaro.