Placements
Les changements législatifs touchant à l’asset management en Suisse peuvent se justifier de cas en cas. Toutefois, en rendant l’industrie des fonds de placement plus homogène, ils sont susceptibles d’en accroître le risque systémique lorsque survient une crise. Par Markus Fuchs (Swiss Funds and Asset Management Association)

La législation visait jusqu’ici les instituts, comme les directions de fonds, les banques ou les assurances et les produits, notamment les fonds de placement. Le Département fédéral des finances adopte désormais une approche transversale valable pour différents secteurs à la place d’une réglementation verticale, secteur par secteur. Cette nouvelle approche permettra d’imposer des exigences réglementaires communes au marché financier et d’aligner, sur certains points, tels que la complexité et les besoins de protection de la clientèle, des exigences aujourd’hui différenciées selon les produits de placement concernés.
Accès au marché communautaire
L’accès aux marchés de l’UE est primordial pour la gestion d’actifs. Avec la révision partielle de la LPCC (loi sur les placements collectifs des capitaux), les premières conditions ont été mises en place pour s’assurer l’équivalence avec les dispositions de la directive européenne pour les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (AIFMD).
Avec MiFID 2 (Markets in Financial Instruments Directive), l’UE veut créer un marché intérieur harmonisé dans le secteur financier. Le projet de directive inclut également des dispositions d’accès au marché pour prestataires d’Etats tiers. Une fois de plus, une réglementation équivalente ainsi que des accords de coopération entre les autorités de surveillance sur l’échange réciproque d’informations et de collaborations seront nécessaires.
La mise en œuvre d’AIFMD et de MiFID 2, ou l’implémentation adéquate de ces réglementations européennes dans le droit national, est certainement l’un des plus grands défis réglementaires de notre gestion d’actifs. De tels projets sont la résultante de crises et de leurs turbulences sur le marché financier.
Crises financières et monétaires
Nous retiendrons des années 80 et 90 un essor des bourses des actions. 1998 a débouché sur de fortes turbulences, dans la foulée de la crise asiatique et de la crise monétaire en Russie. En peu de temps, les indices boursiers ont plongé jusqu’à 30%. Dans leur sillage, le hedge fund américain Long Term Capital Management (LTCM) en a été la victime notoire, et en partie aussi le déclencheur.
Les pertes subies par les bourses en 1998 ont été plus que compensées passagèrement par le boom d’Internet, respectivement par les cours exagérés de nombreux titres technologiques, de médias et de télécommunications. Lorsque cette bulle a éclaté, les bourses ont entamé une décélération sur deux années au moins. Comme conséquence réglementaire, le Parlement européen a édicté la MiFID en 2004.
Placements et risques systémiques
L’AIFMD est l’une des conséquences de la crise de l’endettement de 2007 et 2008. La Commission européenne a adopté en 2009 un projet d’élaboration d’une directive ad hoc. A l’issue de la crise financière, on a tenté de maîtriser les hedge funds «néfastes» qui, à la différence des banques – LTCM faisant exception à la règle (1998) –, ne devaient jamais être soutenus ni secourus par l’Etat.
Les efforts réglementaires peuvent certes se justifier au cas par cas. Mais que l’objectif déclaré de réduction des «risques systémiques» puisse être réalisé reste actuellement difficile à juger. L’AIFMD rend moins flexibles les stratégies de placement. Partant, le système et les modèles sont plus homogènes. Un fonds pris individuellement sera potentiellement moins «dangereux», mais le système dans son ensemble peut s’avérer plus instable. En effet, une industrie des fonds réglementée de manière homogène et par des milliers de pages conduit potentiellement, dans le cas d’un comportement erroné, à un mouvement synchronisé, aboutissant à des risques systémiques bien plus élevés.
Répercussions de crises
Les bourses suivent un mouvement haussier vigoureux depuis 2009. Quasiment tous les stratèges bancaires et gestionnaires d’actifs sont très optimistes également pour 2014. Les rendements d’émetteurs corporate (d’entreprises) spéculatifs sont aujourd’hui plus bas que ceux d’emprunts étatiques américains il y a peu d’années encore. Les écarts de rendement ne parviennent fréquemment pas à compenser les risques plus élevés. Cette évolution est comparable à celle ayant engendré la MiFID et l’AIFMD. Plus le cycle économique et boursier est mûr et plus la propension au risque augmente. Les investisseurs font toujours plus abstraction des risques: la politique y répond par de nouvelles réglementations à l’issue des crises.