L’ours polaire squelettique, photo faite pour indigner
Virale sur Facebook, l’image heurte les consciences. Mission accomplie avant la COP21
Le 20 août dernier, il y a donc presque quatre semaines – une éternité pour les réseaux sociaux! –, la photographe naturaliste allemande Kerstin Langenberger, spécialisée dans les «Rêves arctiques» comme le dit son site internet, publie cette image choc sur sa page Facebook, prise au large des côtes de l’archipel norvégien du Svalbard. On y voit un ours polaire famélique, décharné à faire peur, avec un long message alarmiste sur les ravages du réchauffement climatique. Rideau sur l’acte I.
Une vingtaine de jours plus tard, le virus se met en route: acte II. Plus de 25 000 personnes «aiment ça» – leur cœur «palpite», disent-ils. Près du double le partage, tous émus et indignés par l’image et le texte qui l’accompagne où, selon la photographe, la fonte des glaces rendrait la chasse aux phoques de plus en plus difficile. «Oh God that’s heart breaking», s’exclame une internaute. Le reste à l’avenant: nous, méchants humains avec nos émissions de CO2, sommes responsables du martyre de nos frères de la création.
Le spécialiste en scène
Acte III: certains enquêteurs s’aperçoivent que Ian Stirling, de Polar Bears International, professeur de biologie émérite à l’Université de l’Alberta, au Canada, s’est déjà exprimé à ce sujet dans le National Post le 15 janvier dernier, avec un titre explicite: «Faux polar bear figures». Il y critique sévèrement cette manière biaisée de présenter les problèmes: il faut être prudent, dit-il, lorsqu’on blâme le changement climatique en regardant une photo. Selon lui, il se peut que la femelle soit malade, affamée ou encore blessée, ce qui semble plausible à la vue de sa patte arrière gauche.
Sur le site Mashable, tenant compte du fait que le Svalbard est (encore) un des meilleurs écosystèmes actuels pour ces plantigrades, il soutient que, faute de preuves scientifiques, il a «des yeux pour voir, et un cerveau pour dresser des conclusions». Invité à commenter cette photo, il confirme qu’il est «impossible de lier l’état famélique de l’animal à la fonte de la banquise. Il est peut-être vieux, tout simplement, avec des difficultés pour chasser.»
La charge émotionnelle
Acte IV: le virus ayant contaminé la Toile, il est désormais difficile de le stopper. Dire, cependant, que les ours blancs ne sont pas du tout menacés serait également faux. Ce que le scientifique critique ici, c’est l’usage fait d’une seule image, qu’on pourrait d’ailleurs comparer à celle du petit Aylan récemment échoué, mort, sur une plage turque. Un usage politique, en l’occurrence, pour livrer un message simpliste quelques semaines avant le début de la conférence de Paris sur le climat (COP 21).
De bonne guerre? C’est l’acte V, niché dans le texte de Kerstin Langenberger et du lien de cause à effet qu’elle tire avec sa photo. Laquelle n’apporte aucune preuve, mais suggère un phénomène avec plus d’efficacité qu’une infographie ou une image satellite, qui, elles, sont dénuées de charge émotionnelle. Un ours qui meurt arrache plus de larmes qu’un glacier en fusion ne saura jamais nous en tirer.
«Vivre avec l’ours polaire»: tel est le thème du colloque qui se tiendra en salle 4 de l’Unesco (accès par le 125, av. de Suffren, à Paris, métro Cambronne) les vendredi 25 dès 14h et samedi 26 septembre dès 9h. Entrée libre.