Dans le flot continu des programmes radio, entre les flashes d'information, les interviewes en direct et les tubes, se glissent de temps en temps des tranches de vie prises sur le vif, des morceaux de monde livrés encore tout chauds, des films sonores tout bruissants d'un orage new-yorkais ou d'une colère de docker normand. Le reportage radio a souvent pour effet de piéger l'auditeur, de le happer au point de forcer l'automobiliste à s'arrêter sur un bas-côté et la ménagère à remettre à plus tard la vaisselle qui attend dans l'évier.
Celles et ceux qui ont surpris en septembre dernier les paroles de Sabrina, handicapée moteur cérébrale de 24 ans, qui s'exprimait dans les Enfants du troisième sur la Radio suisse romande, ont dû certainement s'arrêter de conduire ou lâcher le torchon. Marc Giouse, reporter et producteur de l'émission avec Madeleine Caboche, suivait la jeune fille dans la Fondation Clair-Bois à Genève, dans l'atelier vidéo dont elle est la cheville ouvrière, dans l'intimité de ses réflexions sur son état, sur l'amour, sur la douleur. Vingt minutes de reportage. Vingt minutes d'émotion intense. Sabrina a été sélectionné par le Prix suisse du documentaire radio et par le Grand Prix du reportage des Communautés des radios de service public de langue française.
Quand on demande à Marc Giouse comment il est venu au reportage radio, il se souvient des discussions politiques passionnées entre ses parents militants à l'Action catholique ouvrière, puis au Parti communiste à Lyon. «Il y avait souvent des larmes…» Le goût du verbe, une soif de transformer la société, un désir de rendre compte des travers du monde découlent tout naturellement des palabres familiales. Le choix du journalisme est alors vécu comme un engagement. Formation à Strasbourg, quelques années au Progrès de Lyon, puis Radio-Bellevue, une radio privée rock, également basée à Lyon où Marc Giouse réalise les bulletins d'information. C'est France-Culture qui donnera au journaliste l'occasion de goûter au reportage. Dès la fin des années 80, la Radio suisse romande diffuse les sons de Marc Giouse. En 1995, Madeleine Caboche fait appel à lui pour Les Enfants du troisième. Le tandem entamera à la rentrée sa quatrième saison avec cette émission consacrée aux 18-30 ans.
L'auditeur non averti peut croire qu'il suffit de tendre le micro pour saisir un univers. Le son impressionne moins que l'image. La radio, ultralégère en matériel et simple techniquement, paraît faussement évidente. Le micro, face à la télévision et à l'écrit, reste sans doute le témoin le plus direct, celui qui peut coller aux lèvres et au vent.
La prise de son documentaire n'en demande pas moins un doigté hors pair. «Tout se joue dans les dix premières minutes. Il s'agit de séduire l'interlocuteur sans l'écraser. L'important est de susciter la confiance par sa façon d'être, de bouger», glisse Marc Giouse. Le journaliste scénarise ses sujets avant de se rendre sur les lieux. Sauf cas exceptionnels. Comme celui des sœurs Chopard de La Chaux-de-Fonds, 72 et 77 ans, qui tiennent un magasin de caoutchouc, de pêche et de chasse sur la place du Marché, par exemple. «Leur univers est tellement fort en soi, avec cette boutique d'un autre temps où le caoutchouc est encore vendu au mètre, avec ces habitués qui viennent papoter, ces excentriques qui cherchent l'embout de canne à pêche à la mode guatémaltèque, que le scénario du reportage s'écrit de lui-même sur place.» Les sœurs Chopard sera diffusé mardi prochain 21 juillet dans Comédie entre 10 heures et 11 heures.
En temps normal, avec des interlocuteurs plus conscients de leur image, le journaliste doit saisir l'instant clé pour s'emparer du micro. «Il faut trouver l'image sonore qui donnera à l'auditeur l'impression d'être présent à la scène. Le bruit d'un croissant qu'on mâche, ou d'un steak grillé sur le port d'Anvers à minuit sous la fourchette d'un jeune routier exténué, ce sont des bouts de vie que l'on attrape avant de les lancer sur les ondes».
Marc Giouse, aujourd'hui, dans Comédie de 10 heures à 11 heures.