On se souvient tous de son premier vélo. Un Bianchi bleu métallisé à 7 vitesses, monté sur un dérailleur Shimano. Une bécane de rêve qu’on a fini par négligemment laisser rouiller sous la pluie. Comme on se souvient tous de sa première visite à Myst. C’était en 1993 et on découvrait la Lune. Si le jeu reste gravé dans les mémoires, c’est parce qu’au milieu de productions hystériques, Myst prenait l’exact contre-pied. Ici, pas d’ennemi retors à abattre, ni de cube à empiler en 30 secondes chrono. Rand et Robyn Miller ont imaginé un jeu d’un genre nouveau où il n’est question ni d’adresse, ni de rapidité, ni de limite de temps et encore moins de game over.
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Dans Myst il faut résoudre des énigmes en écoutant l’eau qui glougloute avec un arrière-fond sonore, un synthétiseur flippant qui aurait pu ululer dans un film de David Lynch. Une aventure non violente (du moins en apparence) où il s’agit de visiter des lieux abandonnés, d’actionner des leviers grippés et surtout d’agiter sa matière grise pour comprendre à quoi tout cela rime.
Abandonné sur une île
La grande particularité de Myst, c’est que le joueur n’a personne à qui parler. Comme dans Alien , il se retrouve seul à hurler dans l’espace. Ou plutôt à tourner dans la brume d’une île désertée sans carte ni mode d’emploi pour l’aider. Mais avec des livres qui le renseignent assez vite sur une rivalité héréditaire entre deux frères, Sirrus et Achenar, devenus ennemis. Le joueur découvre ensuite d’autres bouquins qui le téléportent ailleurs sur l’archipel. Avant de finalement résoudre le mystère de l’île de Myst au bout de plusieurs heures. Ou de quelques semaines, selon la pratique du gamer. Car Myst reste aussi comme un jeu d’une incroyable beauté vers lequel certains retournent par pur plaisir esthétique. Histoire de tuer le temps en contemplant les paysages insulaires variés, qui ménagent des ambiances de coupoles mécaniques et de cabanes construites dans les arbres. Les frères Miller ont d’ailleurs tout misé là-dessus.
PC sur la touche
Au milieu des années 1990, les meilleures productions restent tributaires de la puissance des cartes graphiques. Pour afficher leur labyrinthe en 3D dynamique, les développeurs de Doom , qui sortira en 1994, doivent composer avec un affichage efficace mais peu détaillé. Rand et Robyn veulent que Myst marque son époque. Peu trépidante, l’action de leur jeu les autorise à fignoler les textures et à simuler le mouvement de l’eau. Chez Cyan Inc., la boîte qu’ils ont fondée, se trouvent déjà des animateurs et des concepteurs de niveaux spécialisés dans la 3D. Avec eux, le design de jeu vidéo va imposer de nouveaux standards. Pour autant que le joueur possède un ordinateur dernier cri. Les propriétaires de Macintosh d’Apple seront les premiers servis. Les PCistes viendront juste après, en 1994.
Porté par la critique et les joueurs, Myst va surfer sur son succès pendant 10 ans. Les Miller vont ainsi élaborer plusieurs suites qui fonctionneront toutes sur le même principe. Riven succédera ainsi à Myst en 1997, Myst III , IV et V suivront, respectivement en 2001, 2004 et 2005. Le jeu accède à une popularité telle qu’il va être adapté à toutes les machines (Nintendo DS comprise) et jusqu’aux smartphones et aux tablettes. Mais la consécration viendra en 2013. Myst entre alors dans la collection permanente du Museum of Modern Art de New York. Un chef-d’œuvre.