Depuis le 1er avril, les journaux suisses doivent, sous peine d'amende, indiquer dans chacune de leurs éditions les participations importantes qu'ils détiennent dans d'autres entreprises. C'est une nouvelle disposition du Code pénal qui les y oblige. Introduite à la sauvette par la commission juridique du Conseil national, elle a été acceptée sans débat, les parlementaires n'y ayant manifestement vu que du feu.
Les journaux du groupe Ringier indiquent ainsi, dans leur impressum, la liste des participations les plus importantes de l'éditeur alémanique. En revanche, les titres du principal éditeur romand, Edipresse, ne publient pas encore les nombreuses participations du groupe. Ils vont le faire, indique toutefois Tibère Adler, secrétaire général de la maison lausannoise. Cependant, certains titres comme la Tribune de Genève et Bilan constituent des sociétés distinctes à l'intérieur du groupe et ne détiennent pas eux-mêmes de participation significative. Ils ne seront donc en principe pas touchés par les nouvelles dispositions. De même, Le Temps, publié par une société où se retrouvent à égalité (47%) Le Nouveau Quotidien Erl SA (contrôlé par Edipresse) et Le Journal de Genève SA (actionnariat composite dominé par la Fondation de famille Sandoz et divers banquiers privés), ne possède pas lui-même de participations importantes au sens de la loi.
La Neue Zürcher Zeitung ne se montre pas pressée non plus de se plier aux nouvelles dispositions. Le prestigieux quotidien zurichois ne s'y adaptera qu'au cours de l'été, une fois qu'aura été entérinée une modification de la structure juridique de son éditeur. Un holding va être créé et le journal phare du groupe sera publié par une filiale qui n'aura elle-même que peu ou pas de participations ailleurs. Ainsi, les 45% que la NZZ détient dans le Bund devraient être rattachés au holding et ne figureront vraisemblablement pas dans l'impressum du quotidien zurichois.
C'est dire que l'efficacité de la nouvelle norme paraît singulièrement limitée. Les juristes de l'administration ont eu beau prévenir qu'une règle de ce type n'avait rien à faire dans le Code pénal et qu'il valait mieux y renoncer en l'absence d'une loi sur la presse en Suisse, les propositions de la radicale appenzelloise Dorle Vallender ont passé comme une lettre à la poste aux Chambres.
Les éditeurs semblent donc avoir été pris par surprise. Ils sont en tout cas fort mécontents et le font savoir. Dans un article publié dernièrement par la revue de droit de la communication Medialex, Alfred Haas, secrétaire général de l'Association de la presse suisse romande, se plaint d'un règlement de comptes. Pour lui, le Parlement vient d'avaliser une discrimination entre la presse écrite et les médias audiovisuels, qui ne sont pas tenus aux mêmes indications. Par ailleurs, souligne-t-il, si l'objectif était de renseigner le lecteur sur les liens économiques des entreprises de presse, et d'éviter ainsi des articles de complaisance, ce n'est pas tant l'indication des participations qu'il fallait exiger que celle des principaux actionnaires. C'est d'ailleurs la même critique que, d'un point de vue différent, le journaliste et juriste Denis Barrelet adresse à la nouvelle norme, dans son récent ouvrage Droit de la communication.