De Pasolini à Godard, le cinéma cherchait «Sous les pavés l'image»
Le Ciné-club universitaire de Genève organise un cycle pour commémorer Mai 68 à travers le septième art.
Commémorer Mai 68 à travers le 7e Art, c'est affronter un paradoxe: alors que le cinéma a eu partie liée avec les événements, il n'en a transmis que relativement peu d'images, que ce soit prises sur le vif ou rétrospectives. Par contre, il aura durablement été marqué par l'«esprit 68», qui a provoqué une remise en cause de ses sujets et de ses moyens. Le cycle Sous les pavés l'image du Ciné-club universitaire de Genève (tous les lundis jusqu'au 15 juin) illustre parfaitement ce paradoxe: sur les treize films programmés, pas un qui soit directement lié aux événements de mai. Internationale, la sélection tient compte d'un mouvement de contestation plus général. Elle fait aussi la part belle au cinéma suisse, via l'émigré Jean-Luc Godard, sans doute le cinéaste le plus représentatif de l'époque, mais aussi grâce à Alain Tanner et Francis Reusser.
Lundi dernier, Godard a logiquement ouvert les feux avec La Chinoise et Week-End, ses deux films réalisés en 1967. Avec le recul, leur à-propos historique paraît stupéfiant. Contestation de groupuscules et médiocrité petite-bourgeoise y sont traitées avec également de distance ironique et dans une forme résolument moderne. Après mai, Godard est passé au militantisme pur et dur, comme en témoigneront Le Gai savoir puis Tout va bien, autre modèle de film politique.
Le cinéma italien, lui, n'a pas eu à attendre 68 pour se montrer engagé. Depuis le néo-réalisme, il est pour sa part significative opposé à la dérive capitaliste patronnée par la Démocratie chrétienne. Pier Paolo Pasolini incarne la gauche la plus radicale et, dans Théorème (1968), il s'adonne à un dynamitage en règle de la famille bourgeoise. Une année plus tôt, le jeune turc Marco Bellocchio propose une sorte d'équivalent italien de La Chinoise avec La Chine est proche, film méconnu qui ne cache rien de l'inconséquence des apprentis révolutionnaires. Plus proche des collègues français, Bertolucci se perd quant à lui dès Partner dans des dédales introspectifs un peu vains. On regrettera juste que les frères Taviani, Elio Petri et Marco Ferreri, cinéastes politiques parmi les plus lucides, manquent à l'appel.
Les répercussions de Mai 68 sont particulièrement visibles dans Charles mort ou vif (1969) et Jonas qui aura 25 ans en l'an 2000 (1976) d'Alain Tanner, fables contestataires qui assoient la réputation du «jeune cinéma suisse». Mais on les retrouve aussi dans La Maman et la Putain de Jean Eustache, film-phare des années 70: plus que le discours politique, c'est le discours amoureux qui aura été bouleversé – sans que rien ne s'en trouve simplifié. Enfin, deux films étrangers complètent encore le programme, en vertu d'affinités un peu plus vagues: le terrible Family Life (1972) de Ken Loach, qui reflète le courant de l'antipsychiatrie, et l'aérien Le Départ (1967), tourné en Belgique par Jerzy Skolimovski, un Polonais épris de liberté. C'est ce souffle de liberté, même assombri par un soupçon d'autocritique, que l'on espère retrouver tout au long de ce programme de printemps.
Auditorium Arditi-Wilsdorf, 1 avenue du Mail, tous les lundis à 19h et 21h. Tél.: 705 77 06.