Les paysans suisses rompent avec l'imagerie ethno-kitsch
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Les milieux agricoles lancent une vaste campagne qui doit les rapprocher de la population.La communication leur est devenue indispensable dans une économie toujours plus concurrentielle
Quel est le point commun entre une vache écossaise, un carton à chaussures, un guide pour touristes japonais et un poisson fraîchement sorti de sa rivière? La réponse est plutôt surprenante: il s'agit des paysans suisses, qui ont utilisé toutes ces images pour leur dernière opération publicitaire nationale, lancée à la mi-avril.
«Plus proches de vous. Les paysans suisses.» Ce slogan en dit long sur le sentiment d'isolation d'une population qui compte 75 000 exploitations et emploie 300 000 personnes. L'opération publicitaire à grande échelle, lancée par plusieurs organisations agricoles, a pour objectif de mieux la faire connaître. Quitte à jouer parfois avec des images insolites.
«Contrairement à ce que vous pensez peut-être, cette vache écossaise a sa place dans le paysage suisse. Nos paysans explorent des voies nouvelles. En parallèle à la mise en valeur des produits du terroir par le biais des AOC, ils se lancent dans la culture du soja, des kiwis, des roseaux de Chine…», peut-on lire en substance dans un texte accompagnant une illustration de vache écossaise au pelage hirsute.
Finies les images d'agriculteurs raclant leurs fondues sur fond de montagnes enneigées? Les paysans suisses semblent en effet décidés à rompre une fois pour toutes avec cette imagerie traditionnelle à laquelle ils sont trop souvent associés. «En effet, cela aurait été une grande erreur d'utiliser les moyens de communication classiques. Ce que nous appelons, en termes publicitaires, l'ethno-kitsch, c'est-à-dire l'association des paysans avec des montagnes, des vaches ou encore un cor des Alpes… On a déjà tellement abusé de cette stratégie!» s'exclame David Jäger, conseiller chez Seiler DDB CR, l'agence bâloise responsable de la nouvelle campagne.
Aujourd'hui, les paysans suisses veulent se montrer modernes, dynamiques et même d'utilité publique. Et ils tiennent à le faire savoir aux consommateurs, trop souvent focalisés sur les prix des produits agricoles suisses ou sur le montant des subventions accordées par l'Etat. Une réputation négative qu'il fallait gommer à tout prix. «Nous voulions élaborer une campagne qui les fasse connaître auprès des citadins, sans toutefois décevoir les gens qui habitent la campagne. Nous avons donc cherché à mettre en évidence les aspects positifs», ajoute David Jäger.
Déclinée en cinq thématiques (protection de l'environnement, dynamisme, respect de l'élevage, production écologique et fraîcheur des denrées), la campagne élaborée par Seiler DDB CR ne craint pas les euphémismes. Elle laisse entendre que les alpes et les pâturages suisses seraient l'œuvre… des agriculteurs! «C'est à eux que nous devons ces merveilleux paysages encore épargnés par le bitume et le béton, ces damiers de champs cultivés et de prairies fleuries où nos vaches sont reines», lit-on sur une autre l'affiche de la campagne.
Mais si les organisations agricoles ont pris goût à la communication, ce n'est certes pas un hasard. Ce secteur se réorganise en effet en profondeur depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle politique agricole. Cette réforme, qui doit préparer la paysannerie suisse à affronter le troisième millénaire et la concurrence internationale, implique notamment la réduction d'un tiers des subventions accordées aux exploitations agricoles entre 1999 et 2004 (800 millions de francs par an, au lieu de 1200 millions actuellement). La Confédération n'en continuera pas moins d'accorder sa manne, mais sous de toutes nouvelles formes, comme les paiements directs attribués aux agriculteurs travaillant selon des méthodes de production intégrée ou de culture biologique. «Un objectif que nous avons déjà atteint, puisque 80% des exploitations travaillent aujourd'hui avec ces techniques», souligne Martine Bailly, directrice de l'Agence d'information agricole romande (AGIR).
Pour promouvoir cette adéquation entre les nouvelles exigences légales et la production agricole, la campagne publicitaire (dont le coût est estimé à un demi-million de francs) se déclinera en deux temps. Une série d'annonces paraîtra dans des quotidiens régionaux à large diffusion (Blick, SonntagZeitung ou Le Matin, notamment), et cela jusqu'au début du mois de mai.
Puis, dès le 8 juin, une deuxième vague d'annonces repartira à l'assaut des lecteurs de divers quotidiens régionaux, en déclinant les mêmes thèmes. Des affiches seront placardées dans de nombreuses fermes suisses et une brochure tirée à 200 000 exemplaires viendra compléter la campagne.
«L'agriculture suisse est multifonctionnelle et en phase avec son temps», tient à rappeler Martine Bailly. Avec son équivalent alémanique, l'agence lausannoise, créée en 1996, diffuse à travers diverses manifestations, un site Internet (www.agirinfo.com) et un hebdomadaire, les informations concernant le monde agricole. Elle s'efforce d'instaurer cette communication jusqu'alors déficiente, mais devenue indispensable dans une économie soumise à une concurrence toujours plus vive.
«Les paysans ne doivent plus seulement produire, mais également vendre», ajoute la directrice. Une donnée qui a longtemps été négligée par ce secteur et qui constituera un défi de taille à relever à l'avenir.