Le plan de sauvetage de l’euro, mode d’emploi
finance
Le plan d’urgence adopté par l’Union européenne est un Meccano financier. Dont l’un des objectifs avoués est… de ne pas être utilisé
Sur le papier, le mur est presque infranchissable. En acceptant de garantir plus de 500 milliards d’euros de prêts potentiels pour secourir un Etat membre assiégé, les Vingt-Sept signifient aux marchés qu’ils ne lâcheront pas prise. Un plan de stabilisation à tiroirs, conçu pour être activé en cas d’extrême urgence. Et destiné avant tout à redonner confiance aux opérateurs financiers et à mettre fin à des semaines de spirale négative sur les marchés.
Premier recours: le guichet «Commission»
La Commission européenne disposait jusque-là d’une «facilité» d’aide à la balance des paiements, ouverte aux seuls Etats non membres de la zone euro et plafonnée à 50 milliards. Son principe est simple, comme l’ont démontré la Hongrie, la Lettonie et la Roumanie qui en ont bénéficié en 2008-2009. Après négociation avec la Commission d’un plan de redressement budgétaire, cette dernière emprunte au profit des Etats vulnérables, et garantit ses prêts sur le budget communautaire.
Les ministres des Finances de l’UE ont créé un mécanisme similaire pour trois ans, destiné cette fois aux pays de la zone euro. Plafonné à 60 milliards, celui-ci sera activé en vertu de l’article 122 du Traité de Lisbonne qui prévoit de venir au secours d’un Etat membre, si celui-ci est victime de «circonstances exceptionnelles» hors de son contrôle. Le montant de 60 milliards est le résultat de simulations. Il concerne la zone euro mais d’autres, comme la Pologne ou la Suède, pourraient contribuer. Le Royaume-Uni, en revanche, se tiendra à l’écart.
Ce mécanisme conforte la possibilité pour l’UE d’emprunter elle-même, et donc d’intervenir dans le futur pour de grands projets d’infrastructures, comme l’a réclamé dès lundi le président de la Commission du budget de l’Europarlement Alain Lamassoure. Il s’agit à la fois du premier guichet, d’un mécanisme destiné probablement à durer, et du premier rempart. Un rempart consolidé par l’engagement du Fonds monétaire international à compléter «tout dispositif européen» (en rajoutant 50% des montants UE) jusqu’à hauteur de 220 milliards d’euros.
Deuxième recours: les 440 milliards d’euros garantis par les Etats membres
La décision a été arrachée à 2 heures du matin. Elle porte d’abord la marque du compromis: les Allemands mais aussi les Néerlandais et les Finlandais n’ont pas voulu accroître la capacité d’émission de la Commission, et ont tenu à un schéma «intergouvernemental».
Ce «Fonds de stabilisation européen» à créer sera une structure juridique privée de type SPV (Special Purpose Vehicle) luxembourgeois. Bien que chapeauté par la Commission, il ne sera pas un instrument communautaire, et ses éventuels prêts ne seront pas inscrits dans le budget communautaire. L’idée, à plusieurs étages, est de lever si nécessaire des fonds sur les marchés financiers avec la garantie unanime des Etats membres de l’UE, qui devront presque tous obtenir pour ce faire l’aval de leur parlement. Le montant de 440 milliards de dollars correspond plus à un chiffre médiatique (440+60 = 500) qu’à autre chose. Chaque Etat de l’UE garantira une quote-part des éventuels emprunts.
Ce fonds, à la disposition de tous les Etats membres, ne sera activé que si la facilité de paiement de la Commission est épuisée. Ce qui suppose déjà un énorme krach. La suite est un vase communicant. Le Fonds lèverait des capitaux, avec lesquels il achèterait des obligations de l’Etat défaillant. Puis il placerait ses titres à la BCE en échange de liquidités avec lesquelles il pourrait répéter l’opération: c’est l’«effet de levier».
L’idée est en revanche bien celle d’un mécanisme provisoire. «On crée un instrument qui permet de répondre à tous les besoins potentiels. On n’ouvre pas une vanne», commentait hier la Commission.
Troisième paravent: la BCE et le retour de la rigueur
C’est le volet le plus controversé de la riposte. La Banque centrale européenne s’est résolue à acheter des obligations publiques dans le cadre d’un plan de soutien historique pour la zone euro, quitte à mettre en jeu son indépendance à l’égard des politiques. L’institution accepte donc l’idée d’acheter de la dette grecque, espagnole et portugaise. Un scénario jusque-là catégoriquement rejeté par son président Jean-Claude Trichet, absent hier des débats de Bruxelles mais au cœur de toutes les discussions.
Tout l’édifice repose sur la réponse qu’apporteront ces prochains mois les pays les plus fragiles, tels l’Espagne et le Portugal. Les Allemands ont, sur le sujet, été très rudes, exigeant que Madrid double son effort programmé de réduction du déficit pour 2010 et 2011. Des annonces espagnoles sont attendues d’ici au prochain conseil Ecofin des 17-18 mai. L’idée, au final, a donc été de «répliquer» le plan de sauvetage de la Grèce en version XXXL. Avec suffisamment de conditionnalités imposées et d’astuces institutionnelles pour éviter d’ouvrir la boîte de Pandore. Mais au risque de voir demain le parlement de tel ou tel pays accorder sa «garantie». Ce qui ne peut pas être exclu.