C’est une nouvelle révolution dans le monde de la presse, «un changement radical», selon Finanz und Wirtschaft. Mais aussi «un choc dans la capitale américaine», comme l’écrit le Financial Times. Osera-t-on dire: un pas de plus vers l’inéluctable? De facto: vers la numérisation progressive – et à grande échelle – de la presse dite traditionnelle, la presse papier, le print comme on l’appelle dans le jargon médiatique contemporain, pour faire court et à la page, avec un brin de mépris envers ce que les nouveaux maîtres des médias considèrent déjà comme une technologie de l’information dépassée.
La Washington Post Company a en effet annoncé lundi qu’elle cessait ses activités d’édition et avait vendu le quotidien qui porte son nom au patron de du groupe de distribution en ligne Amazon, Jeff Bezos. Le journal explique d’ailleurs longuement, dans un dossier historico-économique touffu, les raisons de cette transaction à 250 millions de dollars. Qu’on peut résumer en quelques mots: c’est une question de survie. On y annonce les choses en grand: explications, interview de l’acquéreur, hommage à la famille Graham, chronologie du quotidien et même diaporama de la rédaction apprenant la nouvelle – «ils n’ont pas l’air ravis», commente le site Rue89.
Un «coup de tonnerre»
L’opération survie commence donc par ce que Les Echos appellent un «coup de tonnerre», avec cette «page monumentale de la presse américaine» qui se tourne. «Bezos, la onzième plus grosse fortune du pays avec des actifs évalués à plus de 23 milliards de dollars», prend ainsi le contrôle, «non seulement du Post, mais aussi de plusieurs autres titres détenus par la […] maison mère: les Southern Maryland News, le Fairfax County Times, le journal en langue espagnole El Tiempo latino, par exemple».
Selon Le Figaro, la famille Graham, qui contrôle ce leader médiatique – avec le New York Times et le Wall Street Journal, lesquels en font évidemment leurs choux gras – depuis quatre-vingts ans, «ne voulait pas» le vendre «sans garantie» que soit «préservé» ce fleuron qui fut notamment à l’origine des révélations sur le Watergate. «Ce scandale qui a fait tomber le président Nixon» en 1974, rappelle L’Express dans son historique du journal aux 74 Prix Pulitzer.
Des revenus érodés
Le Post s’est aussi illustré «plus récemment en dévoilant avec le britannique The Guardian les programmes d’espionnage à grande échelle des agences de renseignement américain. A l’image de l’ensemble du secteur de la presse, il est confronté à une érosion de ses revenus alors que les lecteurs se tournent de plus en plus vers des contenus gratuits sur Internet», explique Bilan.
Parmi les candidats à la reprise […], Jeff Bezos, homme de l’année de Time en 1999 et baptisé «perturbateur-en-chef» par le magazine Fortune, a semblé représenter l’acquéreur idéal: «Sans engagement politique particulier, mais champion dans l’art d’utiliser Internet pour distribuer du contenu de qualité, le fondateur d’Amazon dispose de ce que l’on appelle aux Etats-Unis «de poches profondes».»
Vers une redynamisation
Pourtant, Courrier international en tombe presque de sa chaise: à nouveau, écrit-il, «un géant du Net, de la vente en ligne, s’offre une marque d’exception. […] Remember les Hommes du Président. […] Changera [-t-il] de stratégie? Bezos s’achète pour 250 millions de billets verts un levier d’influence, une Rolls de la presse écrite. Changera-t-il le modèle économique du Post? Le fera-t-il basculer vers le 100% web? Sans doute pas. Il va donner les moyens au journal de se redynamiser. Quelles peuvent être les liens entre Amazon, le WP et ses filiales? A suivre.»
Suivre quoi? «Le nouveau propriétaire est peut-être intéressé par le prestige et/ou l’influence dont ce libertarien peut encore» tirer du Washington Post, suggère un blog de La Presse canadienne. En précisant que «pour le moment, le milliardaire d’Internet n’entend pas participer à la gestion quotidienne […] ou effectuer des changements rapides, et ce, même si les pages d’opinions du journal sont notamment horribles. Et en ajoutant en post-scriptum que dans un courriel à Politico, l’ancien journaliste Carl Bernstein – oui, oui, celui du Watergate – écrit ceci: Bezos «est exactement le type d’entrepreneur» susceptible de créer au Washington Post le «journalisme à grande échelle que plusieurs d’entre nous espérons».
Si c’est lui qui le dit…