Ils ont «28 ans cette année», «bientôt 25». Les cinq compères d’Atipik sont cools, assez geeks, et surtout très, très demandés. Installés dans la zone industrielle de Carouge, ils viennent de développer l’application de l’aéroport de Genève et sont nominés trois fois aux premiers Swiss App Awards de ce soir pour Bimbadaboum, leur memory personnalisable.

«On est en plein rush, dit en préambule Yannick Durst, un des deux associés de la start-up. On a plein de projets sur le feu.» Cheveux blonds sur une chemise claire, l’informaticien bondit d’une petite pièce remplie de développeurs pour nous mener dans une mini-salle de conférence équipée de la marque à la pomme. Dans les bureaux carougeois, une atmosphère d’urgence. Comme on la sent chez ceux qui espèrent réussir un gros coup. Les petites mains d’Atipik sautent d’une application à l’autre, la prochaine est pour un restaurateur. «On reçoit tellement de commandes qu’on peut se permettre de choisir celles qui nous bottent vraiment», poursuit le jeune patron sur un ton badin.

Le rythme est effréné, mais l’ambiance se veut potache. Un parasol géant coiffe la salle de repos envahie de plantes vertes. On se croirait dans The Social Network et on se plaît à imaginer les pauses qui viennent réguler le débit du jus de crâne. «On est une bande de potes et les gens viennent un peu quand ils veulent. Mais tout le monde est très motivé et certains font du développement quasiment jour et nuit», poursuit Yannick.

Sur leur temps libre, les compères travaillent sur des projets communs. Ils se sont fait la main sur SwissRadio, deuxième application la plus téléchargée en Suisse à sa sortie sur l’iPhone, qui permet d’écouter ses stations préférées et d’acheter les chansons sur iTunes. Déclinée en FrenchRadio, ItalianRadio, etc., elle compte 900 000 utilisateurs. Le jeu Bimbadaboum a aussi été développé à temps perdu et mis gratuitement en ligne sur l’App Store. La bande de potes compte sur la publicité pour monétiser un jour son audience. «La régie d’Apple a distribué 2 milliards de dollars l’an passé rien que pour la publicité déposée sous les applications», se réjouit le jeune patron.

Fondé dans une cave par Yannick Durst et Fabien Di Tore pour devenir une société créatrice de sites internet, Atipik ne fait aujourd’hui pratiquement plus que des applications. Et songe à s’agrandir.

Si travailler pour les entreprises est rémunérateur, les pionniers de l’App Economie rêvent tous de concevoir leur bébé. Pour Yannick Durst et ses compères, c’est un jeu. Ils couvent le projet depuis des mois, en rêvent, en discutent. Pour le réaliser, il leur manque quatre à six mois de travail et un bon budget marketing. «Il pourrait devenir le prochain Angry Birds, dit Yannick. Il est déjà tout prêt dans notre tête. Mais pour dégager du temps, il nous faudrait des investisseurs.»

Ambiance plus familiale à Yverdon-les-Bains. Pour Charles et Valérie Massin, informaticien et graphiste de leur état, l’illumination est venue d’un SMS envoyé pour annoncer une naissance. Quelques mois plus tard, le couple a créé Bambinapp, une application iPhone vendant des faire-part colorés et personnalisables en quatre langues. Madame dessine et Monsieur programme.

En termes d’investissement, concevoir une application ne coûte presque rien. Une licence annuelle de 100 dollars et un ordinateur. Mais on ne se lance pas sur l’App Store entre la poire et le fromage. «Je travaillais à 60% à l’EPFL, et je pensais lancer Bambinapp sur mon temps libre, raconte Charles Massin. Mais le temps que j’étudie le marché, une application de ce type avait été créée à l’étranger et je me suis rendu compte que la fenêtre temporelle pour se lancer était courte…»

Le Vaudois plaque son travail en décembre 2010 pour se consacrer à la nouvelle start-up familiale. La gestion de ses deux applications – les cartes de vœux Appygraph ont rejoint Bambinapp – l’occupe à 100% ainsi qu’un informaticien employé à mi-temps. Sans oublier la publicité, indispensable pour distinguer ses produits des 550 000 autres de l’App Store. Charles Massin envoie des mails par centaines à des sites et des publications en Europe et aux Etats-Unis, son marché numéro un. Sa progéniture a déjà été téléchargée plusieurs dizaines de milliers de fois, mais pour atteindre la rentabilité, le couple devrait multiplier le nombre d’acquéreurs par cent avant la fin de l’année. A 1 ou 2 francs l’unité, dont le tiers part dans la poche d’Apple, il faut ratisser large pour faire rentrer deux salaires…

A moins de commercialiser une application nettement plus coûteuse destinée à un public de professionnels. C’est le cas d’HomePad, qui permet de réaliser des états des lieux illustrés sur la tablette d’Apple. Alexandre Jordan, agent immobilier fribourgeois, s’est allié pour le coup avec l’informaticien Betim Shkodra. Le premier est arrivé avec quelques liquidités et une idée, le second a développé l’application pendant des mois. «Quand j’ai posé les fonds, je leur ai dit adieu, rigole Alexandre Jordan. On a avant tout fait ça par passion.»

Derrière l’enthousiasme, l’appétit des jeunes entrepreneurs refait vite surface. Ils vendent HomePad 450 fr., 95 fr. durant la phase de lancement, puis prélèvent 3 francs par document réalisé. «Un état des lieux coûte 2,50 fr. en papier carbone, explique Alexandre Jordan. Mais notre programme est nettement plus lisible et précis. On peut prendre des photos directement avec l’iPad pour illustrer l’état d’un mur ou d’un plafond, ce qui évite les conflits lors de la sortie des locataires. Et l’apposition de signatures électroniques sécurise le document PDF.»

Alexandre Jordan et Betim Shkodra estiment qu’il se pratique chaque année environ 400 000 états des lieux en Suisse. Et ils espèrent que d’ici un an ou deux, 20% seront réalisés avec HomePad. Développée spécifiquement pour la législation et les us helvétiques, leur application sera ensuite adaptée aux marchés belge, français, allemand et britannique.

HomePad n’est sur le marché que depuis le 29 février et ses fondateurs font la tournée des régies pour faire connaître leur produit. Car une application peut aussi se vendre avec des mé­thodes de marketing vieilles comme le monde. Le secteur des professionnels? Betim y croit. Après le lancement d’HomePad, il prévoit de s’allier avec un représentant du milieu médical.

Car même si la concurrence est rude et que l’App Store s’enrichit d’heure en heure, les terres à défricher pour les pionniers de l’App Economie restent importantes. Le temps que vous lisiez cet article, et selon des estimations, plus de 300 000 applications auront été téléchargées dans le monde. Par la publicité ou la vente directe, une bonne partie d’entre elles auront rapporté quelque chose à leurs créateurs… et à Apple.

A 1 ou 2 francs l’unité, dont le tiers part dans la poche d’Apple, il faut ratisser large pour faire rentrer deux salaires…