Nuit de mardi à mercredi, 2 heures du matin. Sur www.basic.ch, l'adresse de la radio genevoise Basic, les internautes fans de musique électronique n'en croient pas leurs yeux. Live et en direct, comme disent les journalistes dits branchés, ils assistent à l'arrestation des DJ's et de tout le personnel présent au studio. Grâce à une minicaméra branchée sur l'ordinateur qui pilote l'antenne, les surfeurs peuvent vivre ce triste remake de séries policières californiennes de troisième zone. En moins de cinq minutes, les forces de l'ordre embarquent une dizaine de personnes, qu'ils ne les relâcheront qu'au matin, sans avoir pu opposer aux animateurs le moindre grief.

Sur www.basic.ch, il n'y a soudain plus rien à voir, la caméra n'a pas résisté à la brutalité des policiers. Mais la musique continue d'inonder le Net. Normal. Radio Basic, n'est pas une station comme les autres. C'est actuellement la seule radio suisse qui émette exclusivement sur le réseau. Lancée le 1er mars, elle propose quotidiennement le meilleur des musiques modernes, du dub au jazz, avec une prédilection pour la dance music de qualité. Radio Basic regroupe aujourd'hui une trentaine de DJ's, animateurs ou musiciens liés à Database 59. Ce collectif d'artistes genevois réunit sous un même toit et une même appellation des acteurs qui, chacun dans leur domaine (production, enregistrement, radio, mastering musical, organisation d'événements, café-salle de jeux vidéo), promeuvent depuis plusieurs années la culture techno.

Laurent Iacazzi et Christophe Polese font partie du noyau de Radio Basic. Si l'un est un des fondateurs de Mental Groove, magasin et label précurseur de l'essor techno à Genève, l'autre compte parmi les responsables d'Otaku, le bar futuriste de la Database, rendez-vous prisé des amateurs de musique électronique et de jeux vidéo. Mercredi soir, quelques heures après l'intervention policière, les deux DJ's se relaient à l'antenne. Dans le local de Radio Basic, tout est rentré dans l'ordre. Deux platines, une table de mixage, un compresseur permettant d'égaliser le niveau sonore, un ordinateur, une carte son: l'équipement minimum nécessaire à la diffusion sur le Net n'occupe pas plus de 10 m2.

Fourni en partie par Infomaniak, l'un des principaux providers de la région genevoise, il permet à Radio Basic d'émettre en direct, en langage real audio tout autour du globe. Pour ce faire, l'équipe n'a pas eu besoin de négocier une concession auprès des autorités fédérales, elle ne paie aucun droit d'auteur. Radio Basic bénéficie comme beaucoup de sites du vide juridique entourant la diffusion d'informations sur le Net. «Avant d'utiliser le réseau, nous avions tenté l'aventure pirate durant l'occupation des locaux par Artamis en août 1996. Cela a duré quelques jours. Par la suite, on a voulu réitérer l'expérience, mais cela coûtait trop cher, l'équipement était trop lourd. Le Net ne coûte quasi rien, il faut acheter une carte son et payer la bande passante, c'est tout!», précise Christophe Polese.

Autre grand avantage du réseau, celui de permettre d'archiver les émissions, de développer une sonothèque. En moins de trois mois, la station a engrangé près de 1000 heures d'émission, toutes lisibles en un clic de souris. Pour l'heure, Radio Basic attire un peu moins de 200 visiteurs par jour. Un chiffre encourageant vu la jeunesse de l'antenne et la politique de promotion minimale défendue par l'équipe. «Notre modèle, la radio Interface à Londres, compte plusieurs milliers d'auditeurs quotidien, surtout aux Etats-Unis.» Cette station lancée l'an passé s'est spécialisée dans la diffusion de musique jungle. Parmi les invités réguliers de l'antenne, on compte Mark & Dego, compositeurs du label drum & bass Reinforced. Particularité d'Interface: les DJ's paient pour mixer en direct, 10 livres sterling par heure. Un montant qui a plus valeur de symbole dans un panorama dance bouffé par le commerce.

Mad Ash, la quarantaine, fondateur de Interface a joué un rôle de consultant dans le lancement de Radio Basic. «Mad Ash nous a donné avant tout des conseils éthiques, il nous a poussés à affirmer notre indépendance.» Un désir d'autonomie qui n'empêche pas l'équipe genevoise d'aspirer à une meilleure assise financière. Radio Basic entend briguer prochainement une subvention auprès de Pro Helvetia. «Nous défendons un vrai projet culturel, qui réunit près d'une cinquantaine de personnes, qui chacune dans leur domaine trouvent ainsi la possibilité de s'exprimer. La culture techno est aujourd'hui reconnue un peu partout. Aux autorités de réaliser cet état de fait», ajoute Christophe Polese. A deux pas de nous, le DJ glisse à l'antenne: «Les casseurs ne sont pas tous en prison, certains portent même des combinaisons bleues…»

Pirouette après les événements de la veille. Des incidents qui laissent Christophe Polese songeur: «C'est clair que nous sommes contre la politique menée par l'OMC, dans le sens où elle amène à l'esclavage des millions d'êtres humains. Ceci dit, nous n'avons rien à faire avec les casseurs. Nous ne sommes pas une radio politique. Le fait même de faire de la musique sa vie et de refuser un certain système économique est un geste politique. J'aime travailler avec le chaos. Si on donne le champ libre au chaos, un certain ordre naît naturellement… Reste qu'aujourd'hui nous arrêtons de nous poser trop de questions sur la manière de créer un monde meilleur, nous essayons de le construire à notre niveau. Les moyens sont là pour concrétiser nos projets.»

Radio Basic diffusera samedi la nuit Database 59, en direct de Fri-Art, à Fribourg. Ce concert mettra fin à la programmation réalisée dans le cadre de l'exposition Technoculture.