C'est le principal robinet d'information du monde virtuel. On y trouve les dernières nouvelles, qui s'affichent d'heure en heure sous forme de textes, d'images et de sons. Les services de CNN Interactive sont répartis en fonction du contenu (politique, sport, finance) et de la langue (anglais, espagnol, suédois, portugais)*. Leur consultation sur le Net est encore gratuite.
Lancée il y a trois ans avec une vingtaine d'employés, la compagnie occupe aujourd'hui plus de 200 personnes dans ses bureaux d'Atlanta. Mais surtout, elle bénéficie du formidable réseau de correspondants de la chaîne mère: 3500 spécialistes de l'info disséminés dans 36 bureaux.
Pour Ted Turner, dont le groupe appartient désormais au géant Time Warner, le développement de CNN Interactive est devenu une priorité. Le potentiel publicitaire d'un tel service en ligne est immense. C'est Mark W. Bernstein, 37 ans, avocat de formation, qui a été chargé d'en diriger les opérations. Interview à Genève, en marge d'un forum organisé par le CERN.
Le Temps: CNN Interactive diffuse déjà des infos en quatre langues. Quelle sera la cinquième?
Mark W. Bernstein: Notre but est d'offrir des informations aussi utiles que possible, cela passe forcément par les langues. Nous souhaitons développer des services en japonais, en allemand et en français, mais rien n'est encore décidé formellement. Ces nouveaux services pourraient prendre la forme de collaborations avec des compagnies locales, comme c'est le cas en Suède, où nous travaillons avec l'opérateur de télécom Telia; ou alors, il est possible que nous lancions des filiales 100% CNN, comme nos services en portugais et en espagnol. Toutes ces opérations s'inscrivent dans le long terme. Le marché brésilien, où nous sommes présents, est encore très restreint. Il ne permet pas de dégager de profit pour l'instant.
– CNN Interactive est-elle une opération globalement bénéficiaire?
– Nous prévoyons de sortir des chiffres rouges dans le courant de cette année. Mais cette question n'a pas beaucoup de sens car nous investissons en permanence. Notre service en langue anglaise pourrait déjà être bénéficiaire si on l'isolait des autres opérations. Notre revenu publicitaire pour 1998, et pour l'ensemble des services, devrait tourner autour des 30 millions de dollars.
– Vos sites d'informations vont-ils rester gratuits?
– A moyen terme, oui. Nous tablons sur les revenus publicitaires. Cela dit, nos services sont aussi vendus sous licence et continueront à l'être, à des compagnies de pagers ou à des bases de données par exemple. Mais pour l'utilisateur, ils vont rester gratuits encore un certain temps.
– Et ensuite? Pensez-vous pouvoir vendre vos informations sur le Net?
– Certains médias le font déjà, comme le Wall Street Journal,
et ça marche. Je pense que les utilisateurs seraient prêts à payer pour une information de qualité comme la nôtre. Nos sites ne
se contentent pas de diffuser
des dépêches d'agences. On
y trouve des nouvelles origi-
nales, mais aussi des photos d'actualité, des extraits vidéo et audio. Le public verra vite la différence.
– On dit qu'aucun diffuseur d'information ne parvient à dégager de bénéfices de ses opérations en ligne. Et pourtant, les investissements sont énormes.
– Aujourd'hui, le succès ne se mesure pas en termes de bénéfice: il se mesure à la valeur boursière. Tout le monde table sur les revenus à venir, à une échéance de cinq ans.
– Quand j'irai sur votre site pour lire des informations qui concernent les montres, je recevrai des pubs de montre?
– J'espère bien! C'est effectivement le but que nous poursuivons. Mais nous demanderons l'accord de chaque utilisateur avant de lui envoyer de la publicité intrusive. Ceux qui voudront rester anonymes pourront le faire. Les autres livreront leur profil et recevront des pubs qui les intéresseront. Nous proposons déjà des news personnalisées dans notre service Custom, qui a été réalisé avec Oracle. Mais pour l'instant, nos pubs ne tiennent pas compte des profils.
– Allez-vous aussi développer vos services de commerce en ligne?
– Nos sites permettent déjà d'acheter des disques, des livres, des voyages et des tickets de spectacle auprès de compagnies spécialisées. Nous avons avec elles des contrats à mi-chemin entre la pub et le service à la commission. Mais c'est relativement restreint. Le département «business development» de CNN Interactive n'occupe encore que 4 à 5 personnes.
– Certains observateurs estiment que le Net ne sera vraiment populaire que lorsque l'on pourra s'y connecter avec la télévision. Est-ce votre avis?
– Pas vraiment. D'abord parce que le prix des ordinateurs continue à baisser. Ensuite parce que téléviseurs et PC vont fusionner. Le Net sera bientôt comme l'électricité. On pourra y accéder depuis n'importe où. Mon réveil matin sera branché sur le Net, ma voiture aussi.
– Mais tout le monde ne sera pas dans votre cas.
– Effectivement, le fossé risque bien de s'élargir entre ceux qui auront accès à l'information et ceux qui en seront dépourvus. Le Net, en lui-même, n'a pas que des effets positifs. Il rapproche les gens, crée des communautés, mais il accentue aussi l'isolation. Je suis à Genève, mais je consulte des sites américains… Ces forces antagonistes d'homogénéisation et d'atomisation vont continuer à s'opposer. Cela ne m'empêche pas de rester optimiste par rapport à l'effet du réseau sur le monde.
Propos recueillis par Pierre Grosjean
*Adresses: cnn.com (informations générales), cnnfn.com (financières), cnnsi.com (sportives), CNNenespanol. com (en espagnol), CNNemportugues. com (en portugais), cnn.passagen.se (en suédois).