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Quatre fois par semaine depuis trois ans, l'animatrice de La Première de RSR recueillait les confidences de ses auditeurs entre 22 heures 45 et minuit. C'est fini. L'occasion d'évoquer ses techniques et son savoir-faire
Elle l'avait prévu et annoncé dès le début: trois ans après avoir succédé à Bernard Pichon, Roselyne Fayard raccroche le téléphone ce soir. Dès fin août, c'est un jeune animateur de la Radio romande, Laurent Voisin – que l'on a déjà entendu l'été passé entre 22 heures et minuit – qui la remplacera au micro de La Ligne de cœur. Cette émission où, au creux de la nuit, des centaines et des centaines de personnes se sont très librement exprimées, de manière souvent poignante. Parce qu'elles savaient qu'avec Roselyne au bout du fil, elles trouveraient une oreille attentive à leurs problèmes, leurs angoisses, leurs souffrances, leurs chagrins.
Le Temps: Au moment où vous quittez «La Ligne de cœur», dites-nous si notre impression est juste: le meilleur outil de communication, c'est d'être soi-même?
Roselyne Fayard: Dans toute situation relationnelle, l'outil c'est soi. Ça, c'est sûr. L'intéressant est de voir ensuite comment on développe cet outil. Tout ce qui est du domaine de l'écoute et de la rencontre à un niveau profond est très intimement lié à ce développement. Cela suppose un certain vécu et la nécessité d'avoir travaillé sa capacité à être en relation avec les autres. Personnellement, je suis formée dans le domaine de la santé, en communication et dans le domaine socioculturel (loisirs, etc.).
– Y a-t-il des techniques de communication?
– C'est évident. Ecouter (se brancher et être réceptif) n'est pas inné, cela s'apprend. Mais l'écoute active, c'est encore davantage: on devient capable, dans le discours de l'autre, de percevoir ce qui est important, de rebondir, de reformuler, de vérifier que l'on a bien compris. De plus, si vous écoutez quelqu'un à propos de ce qu'il est, de ce qu'il vit, alors cette conduite d'entretien demande encore d'autres outils.
– Comme une forme d'empathie?
– C'est une question d'intention: vous écoutez pour aider l'autre à mieux se comprendre ou pour qu'il se sente mieux lorsqu'il vous quitte. Cela suppose que l'on conduit l'entretien d'une certaine façon. C'est un métier.
– Vous arrive-t-il d'oublier la présence des auditeurs?
– Non, jamais. Dès que j'ai établi une relation de confiance avec mon interlocuteur – ce qui est la priorité – je n'oublie à aucun moment qu'il va parler devant d'autres gens. On peut tout dire à la radio, mais c'est une question de dosage, de nuance, de moment, de mots. Lorsqu'une femme de 56 ans me dit qu'elle va me révéler quelque chose qu'elle n'a jamais dit (un viol, un inceste, par exemple), je me souviens à chaque instant qu'il y a des auditeurs et j'essaie de faire en sorte, dans mon questionnement, que cette personne soit respectée en tant qu'être. Qu'elle ne soit pas un outil que j'utilise pour faire de l'audimat. Je lui pose les vraies questions qui la concernent, je la suis pas à pas, je ne vais pas au-delà de ce qu'elle voudrait. Je «mets donc mes mains autour», je cadre, je ne laisse pas dire complètement n'importe quoi n'importe comment. Je vérifie toujours que c'est utile à celui qui parle.
– Est-ce aussi utile à celui qui écoute la radio?
– Il y a des «poubelles émotionnelles» qui se vident à La Ligne de cœur. Elles peuvent être insupportables pour l'auditeur. A nouveau, là, je protège, je cadre pour rendre cette écoute supportable. A chaque instant, mon rôle est de me poser la question du sens: pour celui qui parle, pour celui qui écoute. S'il n'y en a pas, il faut arrêter tout de suite.
– Certains témoignages sont plus durs que d'autres. Comment faites-vous, dans ces cas-là, pour vous délester ensuite de toute cette charge émotionnelle?
– C'est un apprentissage. A l'instant où une énorme souffrance est exprimée, j'y suis préparée. Mais je suis aussi préparée à m'en extraire! Il arrive que j'aie les larmes aux yeux: c'est aussi important, parce que, alors, j'ai mieux senti la détresse de l'autre. Ce qui peut encore me poursuivre après l'émission, c'est lorsque j'ai l'impression que malgré un bon travail entre cet autre et moi, il «repart» sans être mieux. Ça, ça me touche. Quand la personne n'a pas pu.
– Face aux situations désespérées, où trouvez-vous les ressources?
– Les témoignages extrêmes arrivent souvent de manière inattendue. Parfois les gens m'appellent pour exprimer quelque chose qui se cache derrière ce qu'ils disent en premier. Je le ressens de manière intuitive. L'approche est de faire en sorte que la personne puisse alors déposer sans interdit. Ensuite, mon but est de lui faire comprendre qu'elle a des ressources propres. Et si elle n'en a pas beaucoup, si elle ne parvient pas à les trouver, je vais lui faire des propositions. Pas des conseils, hein! Des propositions. Comme de se cramponner aux éléments positifs de son entourage, par exemple.
– Ce soir, ce sera une émission comme les autres?
– Oui et non. J'ai préparé un best of. Et les auditeurs pourront aussi s'exprimer. Je ne vais pas fermer la ligne comme cela! Avec quelques invités, mon but est d'essayer de savoir ce que La Ligne de cœur a pu apporter à certaines gens. Mais ce sera aussi un au revoir. Avec de l'émotion, donc: la mienne et celle des autres… que je me prépare à cadrer. A nouveau. C'est ça la vie, c'est riche!