Rétro viral
Quelques paires de jours avant son dixième anniversaire, Facebook a dû faire face à une étude de deux chercheurs de Princeton lui prédisant l’extinction à brève échéance. Gobé goulûment par la Toile et la presse, le brûlot a vu sa méthodologie rapidement critiquée. La réponse de Facebook a été également cinglante

Rétro viral
Se faire Facebook, à n’importe quel prix…
Facebook fêtait hier son dixième anniversaire. Mais ses contempteurs n’ont pas attendu cette semaine pour sortir leurs pétoires.
Parmi ceux-ci, la palme revient à deux chercheurs de l’Université de Princeton. Revêtus des plumes de paon de la prestigieuse alma mater (l’institution revendique 35 Prix Nobel, 5 médailles Fields, 17 médailles nationales en sciences et j’en oublie), John Cannarella et Joshua Spechler, ci-devant spécialistes en génie mécanique et aérospatial, ont pondu un article de 11 pages, orné de quatre graphiques et de deux tables de données pour prédire la quasi-disparition de Facebook en 2017: selon leurs projections, le réseau devrait avoir perdu à cette date près de 80% de ses usagers.
Leur raisonnement a la saveur des évidences aveuglantes. Suivons les quatre stations de leur démonstration.
Point un: Facebook, comme tous les réseaux sociaux, se comporterait comme une maladie infectieuse. Y adhérer, c’est comme s’infecter. L’abandonner, comme guérir.
Point deux: n’importe quelle maladie infectieuse (peste bubonique, grippe) peut être modélisée mathématiquement. Et ce que montrent les modèles, c’est une courbe spectaculaire de montée en puissance d’une épidémie, avant qu’elle ne retombe comme elle est venue, pour disparaître.
Point trois: existe-t-il un réseau social, aujourd’hui quasi disparu des radars, dont les courbes s’apparenteraient à celle d’une maladie infectieuse, validant ainsi le modèle? Réponse: oui, Myspace.
Point quatre, péroraison des deux chercheurs: ce qui est arrivé à Myspace arrivera à Facebook.
Depuis la publication sur le site ArXiv de l’Université Cornell (encore une prestigieuse caution…) de cette étude brute de décoffrage – l’article, comme on dit, n’a pas encore passé la revue des pairs –, ses conclusions ont embrasé la Toile et ont été répercutées jusque dans ses moindres recoins.
C’est qu’il y a beaucoup, mais vraiment beaucoup de journalistes et de blogueurs qui brûlent d’envie de «se faire Facebook». Il y a surtout beaucoup d’analystes toutes catégories confondues qui rêvent que leurs prédictions se réalisent… Aussi en viennent-ils à disséminer à la vitesse de l’éclair le moindre début d’étude (qui plus est estampillée Princeton) qui irait dans ce sens.
Il n’a cependant pas fallu longtemps aux observateurs attentifs des marchés, comme à ceux des réseaux sociaux, sans parler des statisticiens, pour débusquer les biais de cette étude. Pour le dire vite, on parle ici de base de données critiquables; de l’adaptation d’un modèle issu de l’épidémiologie, sur une réalité qui connaît d’autres complexités et d’autres leviers; de la confusion entre corrélation et causalité.
Mais la critique la plus cruelle et la plus drôle est venue de Facebook lui-même. Reprenant la «robuste» méthodologie des deux chercheurs de Princeton, trois experts en data de Facebook l’ont appliquée à l’Université de Princeton elle-même.
Résultat: plus un seul étudiant à l’orée de 2021. «Toutes les recherches ne naissent pas égales et certaines méthodes d’analyse conduisent à des conclusions plutôt folles», concluent, non sans humour, les experts de Facebook. On appelle cela comment déjà? L’histoire de l’arroseur arrosé?
«Toutes les recherches ne naissent pas égales et certaines méthodes conduisent à des conclusions plutôt folles»