Roger Schawinski a obtenu, mercredi dernier, la concession qu'il demandait pour une télévision privée couvrant toute la Suisse alémanique. Seul problème: le nom TeleSwiss a été refusé, mais le bouillonnant patron de TeleZüri a réussi, le jour même, à le changer en Tele 24 (du nom de sa radio zurichoise, Radio 24). La concession définitive lui sera donc communiquée mercredi 1er avril. Satisfait, Roger Schawinski? Peut-être, mais il entame déjà le combat suivant: abattre le monopole de la SSR sur l'argent de la redevance.

Le Temps: Vous êtes apparemment le seul Suisse qui parvient à imposer son rythme au Conseil fédéral.

Roger Schawinski: Oh vous savez, cela fait déjà neuf mois que j'ai déposé cette demande de concession. J'aurais voulu que cela aille plus vite.

– Pourtant, neuf mois, ce n'est rien après des décennies de monopole de la SSR.

– Oui, mais maintenant, il y a une loi qui autorise les chaînes privées suprarégionales. Alors on devrait pouvoir foncer.

– Comment s'est passée votre journée de mercredi?

– Le mardi soir déjà, des informations me sont parvenues que cela coinçait sur le nom, TeleSwiss. J'ai cru à une plaisanterie. Je suis allé rouler sur l'autoroute pour réfléchir. Et je me suis dit qu'il fallait réagir tout de suite. Mercredi après-midi, quand j'ai su que c'était vrai, j'ai communiqué en une demi-heure le nouveau nom de ma chaîne, Tele 24, à l'Office fédérale de la communication (Ofcom), qui l'a fait suivre au Conseil fédéral. On m'a dit alors que ç'était bon, que j'allais recevoir la concession définitive mercredi prochain.

– Vous regrettez ce changement de nom?

– Bien sûr! C'est scandaleux que le Conseil fédéral s'arroge le privilège du nom «Swiss». Vous imaginez les cris des Romands s'il avait interdit le nom de la nouvelle compagnie aérienne Swiss World Airways? Et l'ancien journal La Suisse, il paraissait en allemand peut-être? Quand on sait que c'est Ruth Dreifuss qui a posé le problème…

– Pourquoi à votre avis?

– Parce que, dit-elle, ma chaîne ne sera qu'en dialecte. C'est ridicule. Il y a des centaines d'entreprises dans ce pays qui s'appellent «Swiss» et qui ne sont pas polyglottes. Ensuite, il paraît qu'elle n'aime pas les noms anglais. Et Swissair ou Swisscom, alors? J'ai surtout le sentiment que Ruth Dreyfuss m'en veut de ne pas venir en Suisse romande ou au Tessin. Mais ça, c'est la raison d'être de la SSR, ce pour quoi on lui donne 800 millions de francs de redevances.

– Vous n'avez aucun projet en Suisse romande?

– Tout seul, non. Mais avec des partenaires, il y aurait sûrement des droits de films ou de retransmissions sportives à acheter. Et de l'information pour offrir une alternative.

– On dirait parfois que votre moteur, c'est votre détestation de la DRS et votre ennemi intime, Peter Schellenberg, le directeur. Jugez-vous aussi mal la TSR?

– Je n'en sais rien, et la question n'est pas là. Ce que je veux, c'est que, dans une démocratie, les gens aient le choix. Le Temps est excellent, mais on ne dit pas qu'il n'y a plus besoin d'autres journaux en Suisse romande. La télévision est devenue un média bon marché à produire et très puissant dans son impact. Il est faux de vouloir garder un monopole.

– La concession définitive que vous recevrez mercredi sera assortie de conditions. Les connaissez-vous déjà?

– En partie. Je sais qu'on exige que 50% du prime-time soit produit par nous. Cela tombe bien: c'était mon projet. Mais j'aimerais que cette condition soit étendue à la SSR!

– Une autre condition sera vraisemblablement que vous ne pourrez jamais prétendre à l'argent de la redevance.

– Je sais, mais il faudra réviser la loi. J'ai pour cela quelques relais à Berne. Il faudra surtout définir ce qu'est le service public, ayant droit à la redevance. On s'apercevra alors que DRS2, par exemple, n'est pas une chaîne de service public. Prenez l'Allemagne: les chaînes publiques reçoivent la redevance mais à partir de 20 heures, elles n'ont plus le droit de passer de la pub. C'est juste! La SSR, elle, veut tout. La redevance et la pub.

– Mais son travail en trois langues est bien plus compliqué.

– D'accord, mais le trilinguisme ne coûte pas 800 millions. Il faut chiffrer combien coûte le Tessin, la Suisse romande, et payer la SSR pour ça. Et tout le reste de la redevance devrait aller à ceux, privés et étatiques, qui font du service public. Prenez le mardi à 20 heures. Sur DRS 2, il y a un film d'Hitchcock et sur DRS 1, un polar allemand. Nulle part une émission qui parle des gens de ce pays!

– C'est quoi, pour vous, le service public?

– Des émissions pour les minorités, de l'information, de la culture. La SSR a inventé une «IdéeSuisse». C'est plutôt une «IdéeSSR»! Ils vont faire un sitcom qui passe à Bienne avec des Suisses allemands et des Romands. J'ai cru crever de rire. Je me suis dit, tiens, il n'y a plus besoin de contenu pour faire du service public. Il suffit qu'on parle plusieurs langues, en disant n'importe quoi.

– La force de TeleZüri, c'est la proximité. Vos reporters signent leurs sujets avec le nom de la rue où ils se trouvent. Vous ne risquez pas de perdre la proximité sur Tele 24?

– Non, parce que si la story est bonne, cela n'a aucune importance qu'elle se déroule à Saint-Gall ou à Lucerne. On prendra des sujets exemplaires, qui intéressent tout le monde: un procès contre un néonazi à Bâle, une panne en gare de Zurich qui perturbe 100 000 personnes. A la DRS, j'ai fait Kassensturz (équivalent d'A bon entendeur, ndlr), qui est aujourd'hui encore l'émission la plus regardée. J'ai un peu d'expérience sur ce qui intéresse les gens.

– Vous ne craignez pas une réaction anti-Zurich dans le reste de la Suisse allemande?

– Oui, mais la DRS a le même problème. Personne n'aime Zurich, mais ce qui nous sauve, c'est que tout le monde s'y intéresse. On va utiliser des dialectes régionaux, on passera des reportages de tous les coins du pays et ça marchera.