Un décodeur malin coûte des millions à Cablecom
TELEVISION
Limitée à l'origine au satellite, la piraterie s'est étendue aux chaînes du câble grâce aux prouesses ultra-sophistiquées de réseaux mafieux. Des dizaines de milliers de Suisses en profitent au nez et à la barbe de Cablecom, qui estime ses pertes à plusieurs millions de francs.
Le mode d'emploi complet est en ligne sur englishforum.ch. On parle de tout sur ce site dédié aux expatriés anglophones: de téléphonie mobile, des tracas administratifs et, bien sûr, de télévision numérique. Les propos n'y sont pas tendres en ce qui concerne Cablecom, le premier diffuseur câblé du pays. «Comme beaucoup d'entre vous sur ce site, j'étais enragé quand Cablecom a cessé de diffuser BBC Prime en analogique en l'intégrant à son offre numérique payante», résume Mark, un des administrateurs du forum.
Pour obtenir gratuitement des centaines de chaînes anglophones, Mark et ses amis ont donc choisi de passer dans l'illégalité en profitant du dernier cri en matière de piratage télé, le card sharing, ou «partage de carte», qui permet de se vautrer devant les programmes de BSkyB, de Canal+ ou de Cablecom presque sans bourse délier.
Cette technique est une variation ultra-sophistiquée du piratage des chaînes satellite en vogue depuis une quinzaine d'années. Jusqu'ici, les pirates revendaient sous le manteau des cartes à puce modifiées, qui une fois introduite dans un décodeur donnaient libre accès à divers bouquets payants. Ce type de contrebande, qui existe toujours, a fait les beaux jours de réseaux mafieux en Europe et aux Etats-Unis, coûtant à l'industrie près de 5 milliards de dollars par an en recettes perdues. Le système a pourtant un désavantage important pour les pirates, puisqu'il impose de distribuer physiquement des cartes à puce bidouillées, faisant courir le risque de se faire attraper la main dans le sac.
La piraterie par card sharing, elle, se passe d'intermédiaire et se déroule entièrement sur Internet. Il suffit pour le client de se procurer un décodeur numérique, disponible sur le Web ou chez Media Markt pour moins de 300 francs. Le modèle le plus couru est la Dreambox, conçu et commercialisé par la société allemande Dream Multimedia.
Relié au câble ou à une antenne satellite, ce décodeur numérique peut être programmé pour se connecter à des serveurs pirates, souvent basés en Asie ou en Afrique du Nord, qui diffusent les codes d'accès permettant de décrypter les programmes contre un versement de 20 à 30 euros par an.
La manœuvre n'est certes pas à la portée du premier venu, mais ne pose pas de gros problèmes à des téléspectateurs avides de chaînes cryptées comme le sont Mark et ses amis d'englishforum.ch. Une fois la technique rodée et les modes d'emploi diffusés sur le Net, la tentation devient grande pour les abonnés suisses de Cablecom de suivre leurs traces.
«Nous évaluons le nombre de pirates à quelques milliers, voire quelques dizaines de milliers, provoquant des pertes à hauteur de dizaines de millions de francs», reconnaît Claude Hildenbrand, directeur romand de Cablecom.
Une course sans fin
Le groupe vaudois Kudelski, dont le système de cryptage est utilisé par Cablecom, a menacé le fabricant allemand de la Dreambox de plusieurs procédures juridiques, sans succès. Les plaintes pénales contre les administrateurs de serveurs pirates ont mené à des coups de filets en Suisse et à l'étranger, mais ceux-ci finissent toujours par réapparaître en ligne.
«C'est une course sans fin», reconnaît Claude Hildenbrand. Pour couper l'herbe sous les pieds des hackers, Cablecom compte sur l'introduction prochaine d'une nouvelle génération de cartes à puces mise au point par Kudelski dans ses laboratoires de Cheseaux. Celle-ci serait spécialement conçue pour empêcher le card sharing. Chez Cablecom, on promet donc que d'ici la fin de l'année, «tous les possesseurs de Dreambox pourront la jeter». Ou la remiser quelques semaines, le temps que les pirates trouvent la parade: «Nous espérons que cette solution tiendra le plus longtemps possible», admet Claude Hildenbrand.