MÉDIAS
Le professeur fribourgeois Jean Widmer a lancé l'idée de «S-Magazine», une publication qui pourrait clarifier les débats nationaux en traduisant divers articles parus dans la presse suisse. Un projet semblable existe déjà sur Internet
Il a déjà un nom: S-Magazine. Et, pourtant, ce journal n'est pour l'instant qu'une idée d'universitaire, un concept pour «soumettre l'hétérogénéité culturelle de la Suisse à une médiation commune».
En clair, Jean Widmer, directeur de la section française de l'Institut de journalisme et des communications sociales de Fribourg, estime qu'un journal serait un lieu utile et pratique pour que les régions linguistiques de la Suisse dialoguent. A la façon du Courrier international qui traduit et fait se croiser dans ses pages les points de vue de la presse du monde entier, ce journal aborderait les grandes questions qui agitent les médias des quatre Suisse sans qu'il n'y ait jamais, pour l'instant, de vrai débat commun.
Jean Widmer rappelle que le clivage des langues est né au XXe siècle, à partir du «fossé moral de la Première Guerre mondiale». Ce clivage a remplacé les divisions religieuses mais contrairement à celles-ci ne bénéficie pas d'un support institutionnel. Aucune unité politico-administrative ne recoupe les limites des aires linguistiques. Mais, s'il n'y a pas à craindre de nouveau Sonderbund, la rupture demeure.
Aujourd'hui, les médias ont trouvé leur niche économique dans ces espaces linguistiques et, par leur capacité de mobilisation et d'influence sur le politique, ils participent au compartimentage du débat. Lorsque celui-ci devient réellement national, avant les votations, les divergences se révèlent importantes, qu'il s'agisse du rapport de la Suisse avec ses voisins (Europe) ou du rapport aux étrangers en Suisse (exemple: les mesures de contrainte). «Une certaine presse a parfois voulu délibérément transformer les aires linguistiques en coalitions subjectives», rappelle le professeur. Et de citer le cas du retrait de Swissair à Cointrin, critiqué par la quasi-totalité des médias romands.
Face à la politique de l'Etat fédéral qu'il juge «seulement capable d'arbitrer au coup par coup les intérêts divergents des régions sans parvenir à dégager un intérêt collectif»,Jean Widmer engage les médias à jouer leur rôle institutionnel. D'où son idée de lancer un journal, parce que «le texte écrit permet cette polyphonie que présuppose tout débat démocratique».
Edité dans chaque langue, S-Magazine reprendrait en traduction les articles révélateurs des préoccupations des journaux des différentes aires linguistiques. Il rendrait aussi compte du regard que portent les médias étrangers sur la Suisse et serait ouvert aux réactions des lecteurs. Il pourrait bénéficier de synergies avec des institutions médiatiques déjà existantes, comme l'Agence télégraphique suisse ou Radio suisse internationale. Pour la distribution, il pourrait être encarté dans les grands titres existants.
Aussi, conscient que le succès du Courrier international tient en grande partie à Alexandre Adler, Jean Widmer estime qu'il faudrait une forte personnalité à la tête de S-Magazine qui ne devrait être ni une feuille officielle ni la simple expression de bons sentiments.
Sa proposition, déjà parue voilà trois ans dans le journal universitaire Synergie, a été réveillée il y a une dizaine de jours par une présentation dans le cadre d'un colloque organisé par la fédération des théâtres indépendants (Le Pont/die Brücke/il Ponte)
et par l'association Forum Helveticum.
Pour l'instant, le monde des médias ne s'est signalé que par un intérêt discret. Mais Jean Widmer reconnaît ne pas avoir cherché de contacts plus précis. Il veut que le projet parte sur une bonne base de réflexion avant d'être pris dans un engrenage commercial difficilement maîtrisable.
A suivre…