Ce jeudi midi, les steaks hachés sont avalés sans états d’âme par les enfants de la cantine des Pâquis, à Genève. Ils sont loins d’imaginer que certains s’activent pour faire disparaître viande et poisson de leurs assiettes une fois par semaine. Une nouvelle cause à la mode, portée par Paul McCartney lui-même devant le parlement européen en décembre, et défendue par des initiatives citoyennes et politiques en Suisse. La lutte s’annonce âpre: les opposants dénoncent une nouvelle offensive des tenants de l’hygiénisme.

Dans le canton de Vaud, l’idée a été lancée par l’association Végésanté, sous forme de pétition, puis politisée par les écologistes aux plans communal, cantonal et fédéral. A Genève, une pétition lancée par un groupe de citoyens circule aussi, et des élus seront contactés la semaine prochaine, assure Bertrand Cassegrain, l’un des fers de lance du mouvement. Principal argument des tenants de la journée végétarienne: le piètre bilan environnemental de l’élevage, attesté par un rapport de la FAO (organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) en février.

L’étude soulignait que l’industrie de la viande est responsable de 18% des émissions de gaz à effet de serre. Que la production de viande est l’un des causes majeures de la déforestation, du gaspillage et de la pollution accrue de l’eau. De quoi donner de nouvelles armes aux anti-viande, en plus des questions d’éthique, de bien-être animal ou de santé.

Yves Ferrari, président des Verts vaudois, n’est pas végétarien – «J’aime bien manger un bon morceau de viande» –, mais il est décidé à éveiller les consciences. Le plan de bataille est rôdé: deux élues de Lausanne et de Morges plaident devant leurs communes en faveur de la journée sans viande, volaille ni poisson dans les cantines scolaires, Yves Ferrari milite au Grand Conseil et enfin, la conseillère nationale Adèle Thorens Goumaz agit sous la Coupole fédérale en réclamant «que la Confédération réfléchisse à l’intégration de l’alimentation dans la politique climatique».

Pas végétarienne non plus, l’élue estime que se priver de temps en temps de viande est un geste écologiste «à la portée de tout le monde, davantage que le fait de renoncer à la voiture.» Pour Yves Ferrari, «il ne s’agit pas d’interdire mais de susciter une remise en question. Avec la mondialisation, on ne sait plus d’où vient ce qu’on mange et comment cela a été produit. Je suis favorable à un retour aux valeurs de la terre et à la prise de conscience de l’impact de notre alimentation sur l’environnement.»

Les Verts savent qu’ils s’attaquent un tabou. La liberté individuelle est en jeu, et les premières réactions à l’offensive sont parfois «violentes, dans un esprit «touche pas à mon steak», rapporte Adèle Thorens Goumaz. A l’instar de la colère du paysan et ex-conseiller national genevois John Dupraz, qui s’élève contre l’idée «d’une stupidité infamante! Contrairement à ce que l’on raconte, la biodiversité n’est absolument pas en danger. Dans notre société pourrie gâtée, on ne sait plus quels problèmes s’inventer. Encore une de ces modes à la noix, dans la lignée de l’interdiction de fumer dans les bistrots!»

Plus modéré mais tout aussi circonspect, le magistrat socialiste Manuel Tornare, chargé de la Jeunesse en Ville de Genève: «Encore un gadget bobo, comme souvent avec les Verts! Autant réintroduire le poisson tous les vendredis à la cantine…». L’édile assure que depuis son arrivée au Département, il a agi en profondeur: tous les menus des restaurants scolaires ont été revus «en fonction des quatre critères: qualité, quantité, sécurité alimentaire et diversité.» Les cantines travaillent avec le label «Fourchette verte», décerné aux plats du jour équilibrés, des ateliers culinaires sont organisés lors de la Semaine du goût et une journée annuelle végétarienne est observée en collaboration avec le WWF.

Pas sûr que le mouvement anti-viande se satisfera de ces bonnes actions. Diététicienne au service de santé de la jeunesse du canton de Genève, Marie-Pierre Theubet est acquise à l’idée de la journée végétarienne: «Au nom de la biodiversité, cela se justifie pleinement. Et cela ne pose aucun problème au plan nutritionnel: on peut tout à fait se passer de viande. En terme de protéines, 100 gr de viande équivalent à 60 grammes de fromage, deux yaourts, deux œufs, 150 gr de tofu ou 200 grammes de lentilles.»

La viande, on en mange trop. En Suisse, la consommation moyenne s’élève à 53 kilos par personne, alors que les recommandations sanitaires la limitent à 36 kilos. «Si vous allez chez le boucher en demandant de quoi nourrir quatre personnes, il vous proposera un kilo, alors que 100 gr par personne suffisent. C’est culturel, pour certains, un menu sans viande passe pour radin», analyse Marie-Pierre Theubet.

Même si le caractère militant de la démarche peut crisper, la diététicienne estime que la responsabilité des collectivités de préserver la biodiversité l’emporte sur la liberté individuelle. Il faudrait en revanche éviter, estime-t-elle, le dogme de la journée végétarienne du lundi: mieux vaut changer de jour chaque semaine.

Si les écoles publiques résistent au mouvement, certains établissements privés sont séduits. A l’école Rudolf Steiner de Genève, on a carrément décidé de fermer les portes de la cantine à la viande tous les jours, sauf une fois par semaine.

Encore une de ces modes à la noix, comme l’interdiction de fumer dans les bistrots!»