Après une semaine intensive de foot, chacun a déjà en lui une image prégnante de la compétition: le geste rageur d'un joueur pris en faute, le visage meurtri d'un autogoaleur, la main perdue d'un Chilien dans les seize mètres et le penalty qui s'ensuit, le regard noir d'un arbitre glabre, la profondeur du Stade de France vu de la cage d'un gardien, la danse syncopée d'un supporter camerounais dans les tribunes, les yeux rougis de Platini derrière ses lunettes de soleil en pleine pluie, les chevilles survitaminées d'un attaquant remontant le terrain, une talonnade cabotine, un saut de cabri en gros plan, le baiser de Dugarry sur la bouche d'Aymé ou les semelles de couleur de certaines équipes. Si la mémoire peut ainsi se focaliser sur un détail ou enregistrer le pouls d'une scène générale, c'est que les matches de la Coupe du monde sont bien filmés.
Il y a seulement dix ans, la moitié de l'énumération qui précède aurait passé inaperçue aux yeux du téléspectateur moyen. Aujourd'hui, grâce aux effets de travellings, ralentis répétés et insérés au milieu d'une séquence, plans de coupe, zooms, multiplication des caméras au bord de la pelouse et donc multiplication des points de vue, le spectateur occupe devant son écran la place jusqu'ici réservée à l'arbitre sur le terrain: il est au cœur de l'action. Mieux, il voit tout, plusieurs fois, et sous différents angles. Son regard est celui du juge. De quoi rassasier le voyeur, mais frustrer le supporter qui, c'est bien connu, a moins besoin de preuves que de foi.