Si, en 1916, le Conseil fédéral avait enterré un projet de loi sur le contrôle des banques déplaisant aux milieux concernés, ( LT, 21 mars 2009), en 1933, les conditions étaient changées, il avait hâte de légiférer. Près de 2500 établissements financiers avaient fait faillite aux Etats-Unis depuis 1930. En Allemagne, en Autriche, la crise bancaire était catastrophique. En Suisse, la Banque d’Escompte était mourante et la Banque populaire sous perfusion étatique. La place financière, qui avait jusque-là empêché toute ingérence politique dans ses affaires, se souciait maintenant d’une protection contre de nouveaux risques: l’incompétence, voire la malhonnêteté de certains établissements dont les d éboires détruisaient la confiance des déposants ( LT, 14 février 09 ), les tentatives d’administrations fiscales étrangères de percer le secret des banquiers ( LT 14 mars 09 ), la propension du Tribunal fédéral à donner raison aux demandeurs de séquestre et la montée des socialistes dans plusieurs cantons, avec le risque qu’y soit abolie la pratique du secret bancaire. Une surveillance institutionnelle du secteur financier au niveau fédéral paraissait donc désormais souhaitable si elle était assortie de limitations.

Le Département des finances élabora un avant-projet de loi présenté aux Chambres le 2 février 1934. «La crise économique qui sévit dans le monde entier rend plus difficile l’exercice de l’activité bancaire, disait le Conseil fédéral, alors présidé par Pilet-Golaz. Lorsqu’une banque est en difficulté, c’est à l’Etat qu’elle recourt et c’est à l’Etat que font appel à la fois ses créanciers et ses débiteurs. Il est dès lors tout naturel que l’Etat s’efforce, par des moyens appropriés, de conjurer les défaillances.» Et le message gouvernemental d’expliciter les modes de contrôle interne et externe prévus sur les activités bancaires. Le projet reprenait notamment la vieille idée de 1916 d’instauration de réviseurs, renforcés par l’autorité d’une Commission fédérale des banques.

Cet aspect de la surveillance ne pouvait pas ne pas inquiéter les banquiers, toujours susceptibles en ces matières. Ils obtinrent que fussent ajoutées des dispositions précises sur le secret professionnel: le fameux article 47b de la loi. Toute personne qui, «en sa qualité de membre d’un organe ou d’employé de la banque, de reviseur ou d’aide-reviseur, de membre de la commission des banques, de fonctionnaire ou d’employé du secrétariat, viole la discrétion à laquelle il est tenu en vertu de la loi ou le secret professionnel, ou qui incite à commettre cette infraction ou tente d’y inciter, est passible d’une amende de vingt mille francs au plus ou d’un emprisonnement de six mois au plus.» La loi ainsi modifiée fut acceptée par les Chambres le 8 novembre 1934. Le secret bancaire se voyait protégé légalement et sa violation poursuivie d’office.

Ni le National ni les Etats n’ont ouvert la discussion sur l’article 47. La gauche, depuis toujours hostile au secret bancaire, n’a pas jugé opportun de déclencher l’offensive. Pourquoi? L’historien Sébastien Guex croit pouvoir dire que la priorité de la gauche à ce moment-là était d’assurer l’entrée en vigueur rapide d’une législation qui permettait le contrôle de l’exportation des capitaux et des taux d’intérêt en Suisse*. Or une nouvelle tentative contre le secret bancaire, avec aussi peu de chance de succès que les précédentes, n’aurait que retardé l’adoption de la loi.

Il y eut un autre absent dans la discussion parlementaire de 1934: le cas des ressortissants d’Etats totalitaires dont il aurait fallu protéger les biens contre la tyrannie. On peut certainement admettre qu’en octobre 1934, Hitler au pouvoir depuis dix-huit mois, ni le Conseil fédéral dans son message aux Chambres, ni les députés eux-mêmes n’aient voulu faire état publiquement, s’ils en avaient connaissance, d’une chasse aux capitaux juifs réfugiés en Suisse par l’administration nazie. Mais de là à affirmer, comme le banquier Philippe de Weck en 1992, que là était la raison de l’introduction d’«un secret bancaire particulièrement sévère», il reste un pas impossible à franchir sans plus ample documentation. Le mythe, pourtant, était créé, indéracinable malgré les efforts des historiens: «Dans cette phase de l’histoire, ajoutait Philippe de Weck en 1992, la Suisse a joué un rôle financier international qui se rapproche de l’activité humanitaire.»

* Genèses, 34, mars 1999, pp. 4-27

Il était une fois

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