Chaque mardi matin, Le Temps donne tour-à-tour la parole à six politiciens romands de différents partis et cantons. Aujourd’hui, le conseiller national neuchâtelois PLR Damien Cottier.

Après cet abominable conflit, reconstruisons l’Europe sur deux principes: la paix et la liberté.

C’est en substance le message du Congrès de la Haye, organisé il y a 75 ans. Ce rassemblement a posé, en mai 1948, les bases à la fois du Conseil de l’Europe (la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour et l’Assemblée de Strasbourg) et de certains principes de l’Union européenne (la libre circulation). Le Neuchâtelois Denis de Rougemont, qui a rédigé et lu le «Message aux Européens», sorte de déclaration finale du Congrès, serait peut-être étonné de voir le chemin parcouru depuis. La Convention et la Cour existent, elles assurent les droits de plus de 700 millions d’Européens au quotidien. L’Assemblée et les comités des ministres ont élaboré de nombreuses Conventions du Conseil de l’Europe, des textes qui protègent: contre la corruption, la contrebande de médicaments, la torture, les violences faites aux femmes, les cybercrimes, ils en rédigeront bientôt pour encadrer l’intelligence artificielle… et, avec l’aide de plusieurs organes, ils gardent un œil attentif sur l’application de ces textes.

Relire deux archives: Vers le Congrès de l'Europe, GdeL, 20.01.1948
et Bilan du Congrès de l'Europe, JdeG, 20.05.1948

Et pourtant!

Pourtant, trois quarts de siècle après, l’Europe semble redécouvrir l’importance des mêmes principes… et subir les mêmes affres: la guerre, violente, inhumaine, polluante, meurtrière est de retour! La démocratie recule en de nombreux endroits! Les droits de l’homme sont relativisés – comme les droits des femmes en Turquie, ou la protection des LGBT en Pologne ou en Hongrie; menaces envers les journalistes en Azerbaïdjan, ou remise en question de la liberté de manifester en Serbie; prisonniers politiques dans plusieurs pays et, hélas, tout cela et plus encore en Russie.

Dans ce contexte, il est heureux que plus de 40 chefs d’Etat et de gouvernement se soient réunis à Reykjavik la semaine dernière pour un Sommet du Conseil de l’Europe, le quatrième seulement dans l’histoire d’une organisation qui fêtera l’an prochain ses 75 ans. Comme si les valeurs fondamentales de paix et de liberté ne méritaient l’attention politique la plus élevée qu’une fois par génération! La Suisse était représentée en Islande par le président de la Confédération. Elle a pu, comme les 45 autres Etats membres, prendre des engagements concrets, importants, pour la paix et les libertés de 700 millions d’Européens.

Un engagement renouvelé à respecter les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, institution qui protège chaque Européen contre l’arbitraire de l’Etat. La protection de la démocratie – par des principes réaffirmés – et des droits fondamentaux face aux défis d’une révolution technologique dont l’humanité commence à peine à mesurer l’ampleur: l’intelligence artificielle. Un lien renforcé entre droits de l’homme et environnement, question éminemment politique à ne pas abandonner aux tribunaux. L’adhésion prochaine de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme. A cela s’ajoute l’adhésion du Kosovo qui se profile comme potentiel 47e Etat membre.

Les plus hauts responsables politiques ont aussi adopté des principes clairs face à la guerre en Ukraine: l’engagement à coordonner les efforts pour protéger les enfants ukrainiens victimes d’enlèvements (qui peuvent constituer un crime contre l’humanité, voir être constitutifs d’une intention génocidaire!). L’instauration d’un registre des dommages permettant aux victimes de déclarer les atteintes à leur intégrité ou celle de leur famille et à leur patrimoine, base d’un système d’indemnisation. Enfin, un appel clair à assurer la justice face aux crimes commis en Ukraine, dont le crime d’agression. Toutes demandes fortes de l’Assemblée parlementaire.

Là où le gouvernement russe use du fer et du feu, le Conseil de l’Europe répond par la justice et le droit.

Restons prudents face à un terme galvaudé: pourtant, soixante ans après l’adhésion de la Suisse, on peut espérer que le Conseil de l’Europe vienne de connaître un moment historique. Nous le saurons dans quelques années en mesurant si les mots, puissants et nécessaires, prononcés à Reykjavik au plus haut niveau, seront suivis d’actes concrets. A nous de faire en sorte qu’il en soit ainsi.

Alors «au travail!», car comme l’écrivait Denis de Rougemont: l’avenir est notre affaire!

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