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Accompagner une Suisse à 9 millions d’habitants

OPINION. La Suisse doit accepter d’être devenue un pays d’immigration et mettre enfin en chantier une stratégie pour accueillir ses nouveaux habitants, écrit Werner Blatter, un ancien directeur au HCR

L'initiative dite de limitation a été refusée par le peuple, le 27 septembre 2020, à la joie de Laura Zimmermannet de Renato Perlini, du groupe Opération Libéro. Berne, septembre 2020. — © PETER KLAUNZER / Keystone
L'initiative dite de limitation a été refusée par le peuple, le 27 septembre 2020, à la joie de Laura Zimmermannet de Renato Perlini, du groupe Opération Libéro. Berne, septembre 2020. — © PETER KLAUNZER / Keystone

Un récent article en première page de la Neue Zürcher Zeitung (NZZ) avait comme titre: «La Suisse avec 9 millions habitants», et proposait une analyse correcte et objective de la situation démographique et migratoire au moment où nous passons en effet le seuil des 9 millions d’habitants. Sans l’immigration, nous serions probablement restés aux chiffres d’après la Deuxième Guerre mondiale, soit 4,5 millions d’habitants. Avec le grand nombre de personnes arrivées ces cinquante dernières années, la Suisse est devenue un pays d’immigration et, notre économie et notre bien-être dépendent en grande partie de cette immigration. La NZZ n’ignore pas les défis et les problèmes. Mais, au lieu de se lamenter ou d’énumérer des y-a-qu’à, la NZZ énonce clairement que la Suisse n’a pas de stratégie d’immigration et qu’il est urgent d’en élaborer une pour pouvoir affronter les défis de demain.

L’immigration a depuis des décennies dominé notre vie politique et nous connaissons les hauts et les bas des différentes initiatives. Cependant la Suisse, en tant que pays d’immigration, ne s’est jamais dotée d’une stratégie proprement dite. Il y a le fameux système des «trois cercles» des années 1990 qui n’a établi que les priorités d’admission en fonction de la région de provenance des immigré(e)s. Gérer l’immigration avec les «trois cercles» presque trente ans plus tard n’est pas réaliste.

Il est donc opportun de mettre en place un mécanisme fédéral ad hoc pour élaborer une stratégie d’immigration. Il y a aujourd’hui une réelle ouverture pour s’atteler à cette tâche: au-delà des velléités de quelques politiciens qui rêvent d’une nouvelle initiative pour arrêter la croissance démographique, le thème de l’immigration n’a actuellement pas la cote; cela peut changer assez rapidement et, selon l’évolution de la situation économique, l’immigration risque tôt ou tard de revenir sur l’avant de la scène politique. Profitons donc de ce calme relatif pour sereinement réfléchir à ce que le pays veut en termes d’immigration, quels sont et seront nos besoins en termes de main-d’œuvre et quels mécanismes devraient être mis en place pour gérer l’immigration et l’intégration d’une manière efficace et efficiente, tout en respectant à tout moment les droits humains des différentes catégories d’immigré(e)s.

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Pour arriver à une stratégie, il faudra analyser et voir si le système actuel est adéquat ou non pour traiter les différentes catégories d’immigrés comme les frontaliers, les saisonniers, en passant par les expatriés, les réfugiés, les immigrés illégaux, et les requérants d’asile.

Est-ce que la Suisse devrait adopter un système à points, comme le pratiquent le Canada et l’Australie depuis des années et que l’Autriche a introduit il y a peu? Ce système de points permet aux services d’immigration d’octroyer des visas voire des permis de séjour selon les priorités du pays (qui peuvent changer d’une année à l’autre). Un avantage supplémentaire de ce système est qu’on travaille avec des critères clairs et transparents qui peuvent être compris de tous.

Un point essentiel de cette stratégie est la question de l’intégration des immigré(e)s. Comment pouvons-nous ensemble mieux intégrer ceux et celles qui vivent et travaillent en Suisse depuis des d’années? Quelle politique d’intégration pour celles et ceux qui viennent d’arriver? Optons-nous pour une politique de bienvenue, comme le fait le Canada (Welcome Policy) avec des mesures concrètes d’intégration, ou y-a-t-il une autre voie?

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Afin que cette stratégie reflète les opinions de toutes les parties, l’élaboration de cette stratégie devrait inclure le Département fédéral de police et justice, le Seco, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), les instituts universitaires, des cantons, des communes, des villes, les partis politiques, des médias, des représentants de la société civile, des jeunes et des plus âgé(e)s, des immigré(e)s de longue date ainsi que des immigré(e)s plus récent(e)s. Le Conseil fédéral devrait par conséquent maintenant créer une commission indépendante ad hoc et mandater une personnalité, tel le professeurs Walter Leimgruber, de l’Université de Bâle ou le professeur Etienne Piguet, de l’Université de Neuchâtel, pour préparer un plan d’action et présider et diriger ce processus.

Le tout devra aboutir à une stratégie que le gouvernement fédéral et le parlement devraient entériner. Les générations futures seront reconnaissantes qu’en 2022-2023 une telle initiative ait été prise.