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OPINION. Cinq ans plus tard, le constat est amer: le fossé se creuse toujours plus entre ce que nous devrions faire et ce que nous faisons réellement. Mais les lignes bougent, se félicite Bertrand Piccard, président de la Fondation Solar Impulse

L’avenir de l’humanité, accroché à une virgule? C’est la question que je me posais il y a précisément cinq ans en participant à la COP21, alors qu’on attendait de savoir si le monde signerait les Accords de Paris. Voilà ce qui fut au cœur de ces âpres négociations climatiques: de la sémantique, des alinéas, de la ponctuation.
Afin de contenir l’augmentation de la température atmosphérique «bien en dessous de 2°C, et si possible 1,5°C», tous les pays devaient accepter d’apporter dans les cinq ans une liste d’engagements, les «Contributions déterminées au niveau national», exprimant les efforts maximaux auxquels ils consentaient. Pour garantir le soutien des pays les plus vulnérables, qui accusaient les nations riches d’être l’unique source du problème, un Fonds vert pour le climat de 100 milliards de dollars par an devait leur apporter l’aide nécessaire pour s’adapter aux changements climatiques.
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Dès leur signature, les Accords de Paris montraient qu’on ne cherchait plus à éviter le problème, mais à en réduire les conséquences, comme si le combat était perdu d’avance. Cinq ans plus tard, le constat est amer: le fossé se creuse toujours plus entre ce que nous devrions faire et ce que nous faisons réellement. Les quatre conférences climatiques suivantes ont montré l’impossibilité de concilier les éoliennes danoises et les puits de pétrole saoudiens, les mines de charbon polonaises et les panneaux photovoltaïques espagnols.
Quelques gigatonnes de CO2 plus tard
A la base, il existe un problème de perception. Les changements climatiques sont pour beaucoup un problème lointain qui concerne les générations futures, difficilement palpable aujourd’hui, très cher à résoudre, et pour lequel il faudrait sacrifier notre confort. Difficile de faire passer une telle pilule. Ne serait-il pas plus tangible de parler des problèmes visibles à court terme: la pollution de l’air qui tue 8 millions de personnes par an? L’épuisement des ressources naturelles? Les tonnes de déchets abandonnés dans la nature? Les risques financiers? Le gaspillage invraisemblable de notre société? Le danger que font peser les inégalités et le chaos social sur le monde?
Sur la moitié du globe, le photovoltaïque coûte désormais moins cher que l’énergie fossile ou nucléaire
Alors que reste-t-il de la COP21? Avant tout, beaucoup de frustration. Seulement, loin d’être inutile, cette frustration a permis de faire bouger les lignes. Mais pas comme on pouvait s’y attendre.
A Paris, les Etats étaient en avance sur le monde économique, qui résistait au changement. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Devant un impossible consensus, les acteurs locaux et la société civile se sont emparés du problème. Des régions, telles que l’Ecosse, ont annoncé vouloir atteindre la neutralité carbone dix ans avant tout le monde; des entreprises ont formé des coalitions vertes, pour le textile, le transport, le digital, l’industrie ou la finance; des villes ont annoncé des mesures environnementales drastiques; des secteurs entiers se sont lancés dans leur décarbonation. Cinq ans et quelques gigatonnes de CO2 plus tard, l’inaction des Etats a réveillé la société. Il était temps, car les mouvements écologiques commençaient à se radicaliser. Si le capitalisme n’améliore pas spontanément sa gestion de l’environnement et des inégalités, il creusera sa propre perte.
Inventer un cadre légal
Un autre changement s’est opéré au cours des dernières années: la spectaculaire rentabilité des technologies propres et des énergies renouvelables. Sur la moitié du globe, le photovoltaïque coûte désormais moins cher que l’énergie fossile ou nucléaire, et les investissements dans l’efficience des ressources sont autofinancés par les économies réalisées. Il existe des centaines de solutions pour l’industrie, l’énergie, la mobilité, l’agriculture et les bâtiments qui permettent à la fois de protéger l’environnement et de générer de la richesse et des emplois.
La mise en œuvre de ces solutions passe par l’adoption au niveau politique de normes environnementales beaucoup plus ambitieuses, qui tireraient ces nouvelles technologies vers le marché. Car le problème est là: notre cadre juridique actuel est encore basé sur des technologies anciennes et inefficientes, ce qui permet aux pollueurs d’affirmer que leurs actions sont parfaitement légales. Pour aller de l’avant, il faut aligner la pression populaire qui fait peur, les solutions qui rassurent et un cadre légal ambitieux. Puisse la frustration de l’échec nous y pousser.
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