La publication de l’acte d’accusation par le Tribunal spécial pour le Kosovo à l’encontre du président Hashim Thaçi, et d’autres responsables politiques albanais, en a surpris plus d’un. Cette parution est intervenue alors que le président Thaçi se trouvait en route pour Washington afin de participer à des discussions avec la délégation serbe en vue d’une solution politique entre le Kosovo et la Serbie.

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En voulant jouer les bons élèves, le parlement du Kosovo a voté la création de ce tribunal qui, cela dit, ne comporte aucun juge kosovar dans ses rangs. Ce tribunal se retourne maintenant contre ceux qui l’ont institué et incrimine les dirigeants les plus haut placés du nouvel Etat kosovar. Cette mise en accusation du président Thaçi est perçue comme une mise en accusation de l’Armée de libération du Kosovo (UCK) elle-même, comme un acte nihiliste et négationniste de la guerre du Kosovo et des victimes civiles.

Dégâts pour le Kosovo

Je reste d’avis que Hashim Thaçi doit se présenter à La Haye et faire la lumière sur la guerre du Kosovo, sur les combats de l’UCK. Il doit expliquer les circonstances de la création de cette armée, constituée d’amateurs et mal équipée, qui a surgi de la nécessité de défendre les populations de souche albanaise du Kosovo comme force de résistance contre le génocide, l’épuration ethnique, les viols massifs, le bafouement systématique et étatique des droits des Albanais par le régime de Belgrade.

Alors que cet acte d’accusation, sans la confirmation d’un juge, fait la une des journaux, il crée des dégâts considérables envers le Kosovo, inflige un sentiment d’injustice suscitant les thèses de complot européen contre un éventuel accord sur l’échange de territoires entre le Kosovo et la Serbie. Il faut rappeler que les forces militaires et paramilitaires formées par la Belgrade de Milosevic, ont fait 13 000 victimes innocentes, 10 000 femmes kosovares violées (entre autres des mineures et des enfants) et à ce jour 1643 personnes toujours portées disparues. Cette mise en accusation arrive au moment où la justice n’a pas encore été faite pour les actes d’épuration ethnique lors desquels 1 million de civils albanais ont été chassés de leurs villes et villages. On leur a même confisqué et brûlé leurs pièces d’identité pour effacer toute trace de leur existence. Plusieurs d’entre eux ont péri dans des conditions tragiques, macabres et génocidaires.

Le contexte de la guerre

L’acte d’accusation de crimes de guerre et crimes contre l’humanité est perçu comme disproportionné et injuste par l’opinion kosovare et au-delà. La justice internationale a échoué à condamner les criminels de guerre serbes. Seulement cinq responsables serbes sont reconnus pour leurs crimes commis au Kosovo et un autre a été acquitté.

Cette mise en accusation arrive à un moment où le Kosovo intensifiait son action pour trouver les voies du vivre en paix avec la Serbie. Certes justice doit être faite, mais pas à deux vitesses. Les victimes restent des victimes, indépendamment de leur camp. Une armée de libération défenseure de vies innocentes contre une agression étatique reste un moyen légitime de lutter contre l’oppression. Le contexte de cette guerre a poussé aussi les forces alliées à intervenir militairement, ne l’oublions pas.

Epuration ethnique, exode, viols, massacre de familles et villages entiers d’Albanais attendent toujours justice et reconnaissance…


*Naim Malaj, ancien ambassadeur du Kosovo en Suisse (2008-2015)

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