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Affaires intérieures. La Chaise cassée

La Chaise cassée de la place des Nations à Genève a rejoint sur le

La Chaise cassée de la place des Nations à Genève a rejoint sur le tourniquet des cartes postales les trois autres icônes préférées des touristes: le Mur des réformateurs, le jet d'eau et l'Horloge fleurie. Elle se vend bien. Ce siège de 12 mètres de haut dont un pied a été arraché par ce qui aurait pu être une mine a été installé là en 1997 à l'occasion de la signature du traité d'Ottawa sur l'interdiction totale des mines antipersonnel. C'est un logo particulièrement efficace pour un combat mené et partiellement gagné par des ONG qui signalent, à travers cette sculpture de Daniel Berset commandée par Handicap International, leur insertion nouvelle dans la diplomatie mondiale. L'installation devait être temporaire. Elle s'est prolongée du fait des tergiversations genevoises sur le réaménagement de la place. Les travaux ont maintenant commencé, la chaise sera provisoirement rangée avant de réapparaître, repeinte à neuf, dès qu'ils seront terminés. Ainsi l'ont voulu les militants de la lutte contre les mines; ainsi l'ont concédé, tête basse, les autorités municipales; ainsi l'a recommandé, de toute sa hauteur fédérale, la ministre des Affaires étrangères, Micheline Calmy-Rey, ardente partisane d'un marketing humanitaire pour sa Genève internationale. La Chaise cassée comme marque d'une ville penchée sur les souffrances et les réparations, la ville où l'homme blessé trouve refuge et réconfort, qui dit mieux?

Les représentants du siège genevois des Nations unies endurent péniblement la proposition. Ils se soucient de leurs visiteurs penauds devant l'insolite objet dont le message leur échappe. Pour tous les peuples qui s'assoient par terre, une chaise n'a guère de signification. Une chaise au pied manquant encore moins. Quant aux autres, usagers réguliers des muscles postérieurs, ils sont nombreux au dire des guides du palais à rire de la malfaçon: «Les Suisses ne sont-ils pas capables de fabriquer une vraie chaise?» (D'où peut-être le succès de la carte postale.)

Le malentendu s'aggrave quand les visiteurs se mettent à s'imaginer que la Chaise est le symbole de l'ONU: une organisation bancale, au milieu d'un champ de mines, visiblement instable et peu susceptible de jamais retrouver son équilibre. Là, panique chez le sous-secrétaire général: comment dévier la rumeur, réparer l'erreur d'image? Quel jeu jouent les Suisses à insister pour que la Chaise reste plantée en plein devant l'entrée principale? Et d'ailleurs, dans un autre registre, pourquoi maintenir à tout prix ce signe de guerre devant un bâtiment qui se veut signe de paix? Pourquoi alléguer la mort quand il faudrait souffler de l'espoir et de la vie?

Le message humanitaire de la Chaise heurte apparemment le message politique onusien. Une chaise vide ricane au nez des présidents assis sur la leur dans la salle des Assemblées. Genève a deux pieds dedans, un dehors. Son quatrième est manquant.