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Alain Juppé ou l’étrange stratégie du silence

Il ne suffit pas de répéter, comme l'ancien premier ministre de Jacques Chirac le fait souvent, que la présidentielle marque, en France, la rencontre entre un homme et le peuple. Il lui faut dès maintenant incarner cette posture, montre notre correspondant à Paris Richard Werly

Alain Juppé arrive au siège du parti «Les Républicains» le 7 décembre 2015. — © Christophe Petit Tesson, Keystone
Alain Juppé arrive au siège du parti «Les Républicains» le 7 décembre 2015. — © Christophe Petit Tesson, Keystone

Pour l’heure, l’affaire semble entendue. Hormis quelques sondages isolés, l’avance prise par Alain Juppé sur ses adversaires aux primaires de la droite continue de le positionner comme favori. Seule une enquête d’opinion Odoxa, réalisée auprès des sympathisants de droite à la mi-juin, place Nicolas Sarkozy en avance d’une courte tête sur son ancien ministre des Affaires étrangères.

Pas trop étonnant: Alain Juppé n’a jamais fait mystère de son désir de rassembler au centre, voire à gauche pour accéder à l’Elysée, où il s’est engagé à ne faire qu’un quinquennat unique.

Savoir que le public traditionnel de la droite – et plus encore le cercle restreint des militants des «Républicains» – lui préfère le dynamisme et la pugnacité de l’ancien chef de l’Etat français n’est donc ni surprenant, ni problématique si la primaire des 20 et 27 novembre s’avère, comme ses promoteurs s’y sont engagés, réellement ouverte à tous.

«Le meilleur d’entre nous»

La vraie interrogation, concernant celui que son mentor Jacques Chirac avait surnommé le «meilleur d’entre nous», porte sur sa stratégie et sa personnalité. Car à force de vouloir se montrer pédagogue – il a publié quatre livres thématiques quand ses rivaux ont préféré chacun un ouvrage autobiographique «coup de poing» – et de refuser d’entrer pleinement sur le ring, le doute s’installe.

Un doute résumé par Sarkozy le perfide d’une comparaison inappropriée, mais meurtrière, entre le Juppé de 2016 et le Balladur de 1995. Edouard Balladur ou le vainqueur programmé d’un scrutin que Jacques Chirac (dont Alain Juppé était le premier hussard) avait fini par remporter grâce à un objectif clair – lutter contre la fracture sociale – et un abattage sans pareil durant la campagne. Le premier, chef du gouvernement de cohabitation sortant – avait pour lui les élites parisiennes et une bonne partie des médias. Le second savait séduire et convaincre, jusqu’à faire oublier son légendaire cynisme et ses trahisons à répétition. Ça ne vous rappelle rien?

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Qui dit stratégie dit aussi message. Or à y regarder de près, et après avoir parcouru ses livres, quel est le message du candidat Juppé, au-delà de sa capacité à calmer le jeu, et à incarner un Etat moins impartial et moins moqué?

Son véritable atout? Bordeaux

Pas de plaidoyer pour un référendum et des changements à la hussarde via une salve d’ordonnances durant ses six premiers mois de présidence, comme l’assène Bruno le Maire. Pas de volonté d’infléchir la politique économique dans le sens d’un libéralisme assumé, comme l’a claironné durant des mois François Fillon, avant de commencer à se rétracter. Un quasi-silence.

© AFP or licensors
© AFP or licensors

Son véritable atout? Bordeaux, promue ville la plus attractive de France, redynamisée, tournée vers le commerce et les services, que la nouvelle ligne de TGV mettra en 2017 à moins de trois heures de Paris. Bordeaux, qui lui a permis de dissiper son image de premier ministre raide et «droit dans ses bottes», bouté hors de Matignon par les grandes grèves de 1995-1996. L’offre est relativement inédite dans une France toujours hypercentralisée où les grandes métropoles provinciales innovantes peinent à trouver leur place. Elle le rapproche aussi de Jacques Chirac qui utilisa la mairie de la capitale comme tremplin national. Sauf que Bordeaux… ne sera jamais Paris.

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Se souvenir qu’il n’est pas encore candidat

Pour garder ses chances et continuer son échappée, Alain Juppé n’a guère le choix. Il va devoir se battre et descendre dans l’arène pour créer de l’empathie et convaincre les électeurs du centre, voire de la gauche modérée et déboussolée, de voter pour lui en novembre.

Il ne suffit pas de répéter, comme il le fait souvent, que la présidentielle marque, en France, la rencontre entre un homme et le peuple. Il lui faut dès maintenant incarner cette posture. Et pas seulement en donnant de longues interviews sur l’Europe au «Monde», en soignant ses réseaux d’élus ou en réaffirmant le sérieux de son programme. Le Juppé cru 2016 doit se faire aimer comme candidat. Et se souvenir, tous les jours, qu’il n’est pas (encore) président.