La conférence de Paris sur l’environnement accouchera d’un «accord», d’un «mémorandum», d’un «échéancier» ou d’un autre objet politique baptisé comme on voudra sauf du nom de «traité», c’est-à-dire d’une obligation mutuellement contraignante.Tout le monde veut bien coopérer mais personne ne veut se lier. On se croirait à la Diète des cantons d’avant 1848, quand Leurs Excellences se souciaient en priorité du maintien de leur souveraineté dans leur petit monde.

La Terre envoie des signes d’épuisement correctement perçus par les grands prêtres de la science mais c’est qui, «la Terre»? Où est son landamann? Vous avez son numéro de téléphone? Je pose la question parce que le chimiste mexicain Mario Molina, celui qui a reçu le Prix Nobel pour avoir détecté le trou d’ozone, voudrait lui confirmer qu’à peu de frais aujourd’hui les Terriens pourraient s’éviter les conséquences tragiques d’émissions non contrôlées de gaz à effet de serre. Il a plein de gens pour l’écouter, François Hollande, Barack Obama, Angela Merkel, Xi Jinping, Simonetta Sommaruga et près de deux cents autres, mais le représentant de la Terre reste introuvable.

Beaucoup, même, sont d’avis que «la Terre» n’existe pas. Par exemple, quand le juge Stephen G. Breyer de la Cour suprême des Etats-Unis a expliqué devant ses pairs que la peine de mort était abolie dans 137 pays, il s’est vu reprocher un intérêt pour les pratiques légales du reste du monde contraire à la tradition juridique américaine. Quatre des neuf juges de la cour ont dénoncé ses références étrangères comme une menace aux principes d’autogouvernement des Etats-Unis.

En 2009, la vingtaine de sénateurs républicains opposés à la nomination de Sonia Sotomayor à la Cour suprême ont justifié leur attitude par le fait que la candidate s’inspirait du droit international – ce qu’elle a dû nier. Pour les conservateurs, la Terre n’est pas dans l’annuaire. Le juge Breyer vient de publier un brûlot* qui révèle l’étroitesse de la géographie juridique américaine rapportée aux réalités de la société mondialisée. De plus en plus de cas soumis à la Cour suprême impliquent des individus ou des groupes liés à des ordres juridiques différents, constate-t-il. Il est du devoir des juges constitutionnels de les connaître, d’en discuter le fondement et la logique avec leurs praticiens. La Constitution américaine, affirme-t-il à rebours du dogme, ne peut plus être interprétée sans l’apport des expériences étrangères.

Le juge cite des situations parvenues devant la cour où sont en jeu la lutte contre le terrorisme, le respect des droits de l’homme ou les droits commerciaux: ne serait-il pas sage, demande-t-il, de connaître les efforts que font les autres pays pour résoudre des problèmes identiques à ceux des Etats-Unis? Comment les juges peuvent-ils protéger efficacement les libertés face aux menaces de sécurité s’ils n’ont pas un accès reconnu et légitime au droit et à la pensée juridique des pays impliqués?

Soucieux de l’autorité de la loi, Breyer invite les siens à la découverte de la Terre, plus proche que la Lune après tout. Il prononce le mot d’«interdépendance», avec prudence, non sans avoir rendu au préalable l’hommage nécessaire à sa patrie. Mesurée à l’aune de l’isolationnisme américain, la culture juridique suisse est un record de plasticité.

Au plan de la loi, nous sommes géocompatibles. La Terre est notre horizon, en même temps que notre fonds de commerce, ONU, Croix-Rouge, OMC, etc. D’où vient alors qu’au moment où le tabou du retranchement est attaqué aux Etats-Unis, il fasse irruption en Suisse sous les espèces monstrueuses du «juge étranger» déguisé en bailli Gessler? A suivre l’UDC, il faudrait poser le droit suisse au-dessus du droit international, un point c’est tout. Allô la Terre? T’es où? Tu nous laisses tomber?



*The Court and the World, American Law and the New Global Realities (Knopf). Traduit en français chez Odile Jacob sous le titre: La Cour suprême, l'Amérique et son histoire

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.