Allons-nous attendre d’avoir soif pour mesurer la valeur de l’eau?
opinions
Mikhaïl Gorbatchev, président de Green Cross International, tire la sonnette d’alarme: si nous continuons à ne pas prendre soin de l’eau, elle ne prendra pas soin de nous non plus
Nous vivons en des temps d’urgence. L’accumulation de crises simultanées, allant du climat à l’énergie en passant par l’économie, a créé une spirale infernale provoquant un besoin de changement. Mais la crise hydrique est unique en ce sens qu’elle représente un danger clair et imminent et que ses conséquences sont potentiellement fatales.
La montée en puissance de la crise hydrique et sa situation géographique démontrent clairement que, sans contre-attaque résolue de notre part, cette crise dépassera dans les prochaines décennies les capacités d’adaptation de nombreuses sociétés. Cela pourrait donner lieu à des migrations massives, à une pression socio-économique sévère, à la déstabilisation et à la violence, mettant ainsi en danger la sécurité nationale et internationale.
D’ici à 2025, on estime que 1,8 milliard de personnes vivront dans des régions souffrant de rareté hydrique absolue. Les deux tiers de la population mondiale pourraient souffrir de stress hydrique. La demande en eau augmentera: les prélèvements d’eau croîtront de 50% dans les pays en développement, et de 18% dans les pays développés d’ici à 2025.
Malgré tout ce que cette situation implique, dans quel état est l’eau de notre planète? Bien que nous fassions usage d’un peu plus de la moitié de l’eau accessible sur notre planète (54%), plus de 50% des 3,5 milliards de personnes vivant en milieu urbain dans le monde n’ont pas accès à de l’eau potable et saine.
Mais la vraie mauvaise nouvelle, c’est que la consommation d’eau augmente encore plus vite que la population: la consommation d’eau au XXe siècle a crû deux fois plus vite que la population. Par conséquent, aujourd’hui un tiers de la population mondiale vit dans des pays en situation de stress hydrique. D’ici à 2025, on estime que cette proportion passera aux deux tiers. En plus de notre consommation non durable de l’eau, nous polluons nos lacs, rivières et cours d’eau jusqu’à leur épuisement. La plupart des eaux usées (environ 80%) provenant de sources résidentielles et industrielles réintègrent l’environnement non traitées.
Le besoin croissant des humains en eau, pour des questions de survie et de bien-être, ajouté aux pressions exercées sur la ressource elle-même, du fait de sa mauvaise gestion, de sa pollution et du manque général de vision à long terme, nous démontre l’urgent besoin qui existe aujourd’hui d’une amélioration de la conservation et de la consommation de l’eau au niveau mondial.
Mais trop peu de choses sont faites à ces niveaux. Cela fait depuis 1997 que nous attendons que 35 pays signent la Convention des Nations unies sur les cours d’eau, afin de promouvoir la gestion et le partage des 276 rivières et eaux souterraines transfrontalières mondiales, et il nous en manque encore une poignée. Le manque de cadre global pour la gestion des sources d’eau traversant les frontières met le monde en danger […].
Puis il y a le droit à l’eau et à l’assainissement, que Green Cross a défendu avec passion avant qu’il soit enfin créé, en 2010. Encore faut-il le mettre en œuvre sans attendre. Cela passera par la création de législations nationales garantissant ce droit (ainsi que ceux à l’éducation, à la santé et autres) et par des investissements dans les infrastructures requises pour assainir l’eau et rendre les services sanitaires accessibles à tous.
Malgré l’adoption par les Nations unies de ce principe vital, le manque d’eau douce devient de plus en plus criant, à une échelle toujours plus grande. Contrairement à d’autres ressources, il n’y a pas de substitut à l’eau.
Tandis que l’Objectif du millénaire pour le développement s’appliquant à l’accès à l’eau potable a été annoncé en 2012, environ 800 millions de personnes n’ont toujours pas accès à de l’eau propre aujourd’hui, et trois fois ce nombre n’ont pas accès à un assainissement adéquat. Des milliers d’enfants meurent chaque jour dans le monde en développement en raison de maladies transmissibles par l’eau.
L’échelle et la nature globale de la crise hydrique demandent de meilleures capacités à gouverner, une vision et une action internationale plus fortes. Pour maîtriser la crise hydrique, nous devons nous pencher sur ses effets et sur ses causes. Les aspects économique, social, hydrique et environnemental doivent être correctement coordonnés dans toute réponse à cette crise.
Un «objectif eau» complet doit être intégré dans l’agenda du développement post-2015, un objectif qui devrait lier développement et environnement dans les analyses et les politiques gouvernementales. Un tel objectif s’adresserait aux trois dimensions interdépendantes de l’eau: eau, assainissement et hygiène; gestion de l’eau; et gestion des eaux usées et qualité de l’eau.
Cet objectif doit être basé sur des principes d’équité, de solidarité, de reconnaissance des limites de la planète et de l’approche législative, couplés avec des moyens efficaces pour vérifier et pour demander des comptes aux parties prenantes.
Nous vivons en des temps volatils et changeants, et nous faisons face à l’impressionnant défi global du changement climatique, à la dévastation des guerres civiles, et au fléau désespérant de l’extrême pauvreté. Mais une chose est constante: notre besoin en eau. Des régions entières sont embourbées dans la pauvreté et le conflit, retenues en otage par leurs problèmes hydriques; nous devons briser ce cycle et donner aux gens une chance d’avenir. Benjamin Franklin disait: «Quand le puits est à sec, nous connaissons la valeur de l’eau.» L’alarme retentit dans les oreilles des sourds depuis trop longtemps. Il est temps de se réveiller avant qu’il ne soit trop tard, avant que les puits du monde ne soient à sec.
Dernier homme fort de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev est président fondateur de l’ONG Green Cross International, qui fête ses 20 ans cette année
D’ici à 2025, 1,8 milliard de personnes vivront dans des régions souffrant de rareté hydrique absolue
Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.