C’est le site de Radio Vatican qui l’annonce solennellement: «La conférence de presse de présentation de l’exhortation apostolique post-synodale sur la famille, Amoris Laetitia («La Joie de l’Amour»), aura lieu le vendredi 8 avril 2016 à 11h30 en Salle de presse du Saint-Siège, en présence de quatre intervenants, deux cardinaux et un couple: le cardinal Lorenzo Baldisseri, secrétaire général du Synode des évêques, le cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne (Autriche), Francesco Miano, professeur de philosophie morale à l’université romaine Tor Vergata, et son épouse Giuseppina de Simone in Miano, professeur de philosophie auprès de la faculté théologique de l’Italie méridionale, à Naples.»

Radio Vatican remarque également, un peu pincée: «Suite aux fuites qui s’étaient produites en juin 2015, peu avant la publication de l’encyclique Laudato Si’, la salle de presse du Saint-Siège rappelle que le texte de cette exhortation sera fourni aux journalistes dès le jeudi 7 avril à 18h (en italien, français, anglais, allemand, espagnol et portugais), mais qu’il restera strictement sous embargo jusqu’au 8 avril 2016 à midi heure de Rome.»

On notera immédiatement, avec le journal Le Monde, que le cardinal Christoph Schönborn est un progressiste, fils de divorcés: ce qui constitue déjà un signe.

Qu’est-ce qu’une exhortation apostolique?

Une exhortation apostolique, kesako? C’est le quotidien La Croix qui nous renseigne: «À l’origine, l’exhortation apostolique était un appel, une admonestation ou une recommandation, sans caractère juridique, adressée par les papes à une catégorie de fidèles. En 1974, alors que les évêques réunis à Rome pour la IIIe assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, sur "l’évangélisation du monde contemporain", avaient eu du mal à se mettre d’accord sur ce que signifiait ce concept, le cardinal Karol Wojtyla, archevêque de Cracovie, persuadera néanmoins le Pape de reprendre à son compte une partie des conclusions des évêques dans une exhortation apostolique. Devenu pape, Karol Wojtyla reprendra cette habitude de rassembler, dans une exhortation apostolique post-synodale, les conclusions des synodes qu’il a convoqués.»

La Croix nous explique ensuite qu’à la différence d’une encyclique, où le pape développe un point de doctrine, sans promulguer des définitions nouvelles, et indique une direction obligatoire, «les exhortations apostoliques, quant à elles, ont plus souvent une visée pratique et pastorale.»

Magistère extraordinaire du pape

Bref, conclut La Croix, «l’exhortation apostolique, comme l’encyclique, relève du magistère extraordinaire du pape: ainsi, même s’il n’est pas solennel, l’enseignement qu’elle contient est définitif et engage l’infaillibilité, les vérités qu’il contient ayant un lien organique direct avec les vérités de foi divinement révélées. Elle suppose donc "une soumission religieuse de la volonté et de l’intelligence"».

C’est donc à midi, heure de Rome – c’est bien la première fois que l’on parle dans une revue de presse de «l’heure de Rome» – que toutes et tous les catholiques en sauront un peu plus sur la doctrine présente de l’Eglise sur la famille, tous ses avatars (famille recomposée, famille monoparentale, famille LGBT) et tous ses aléas (divorce, remariage, communion des divorcés et divorcées, etc).

La conférence de presse, nota bene, sera retransmise sur Radio Vatican. On savait l’Eglise redoutable communicatrice: voici une preuve de plus.

Les journalistes accrédités savent déjà tout

Les journalistes accrédités savent donc déjà tout. Mais ils se taisent encore à l’heure où nous écrivons. Le Monde offre néanmoins dans ces colonnes, appuyés par l’Agence France Presse, un récapitulatif des principaux enjeux de cette exhortation: elle portera «sur le mariage et la famille. Pendant deux ans, dans le cadre du synode sur la famille, les évêques ont débattu de façon intense des réponses concrètes que l’Eglise doit apporter aux situations familiales variées qu’elle rencontre, telles que les divorces, les cohabitations hors mariage ou l’homosexualité.»

Voilà pour le cadre général. Le Monde poursuit: «Deux questions, notamment, ont focalisé l’attention et suscité les discussions les plus vives: celle de l’accès au sacrement de la communion des divorcés remariés; et celle de l’intégration au sein de l’Eglise de couples homosexuels ou vivant en union libre. Le rapport final sur la famille, adopté le 24 octobre à Rome, apportait des éléments de réponse. A la fin de ce document, les évêques demandaient explicitement au pape François de rédiger son propre texte sur ces sujets.»

Le suspense monte d’un cran: «Le pape devrait s’appuyer, pour cette exhortation, sur les conclusions des deux synodes, notamment sur les deux sujets les plus sensibles: la communion pour les divorcés remariés et l’homosexualité. Dans son exhortation, le pape François ira-t-il plus loin que ces conclusions? Le secrétariat du synode assure que ce document n’entend pas "changer" la doctrine concernant le mariage et la famille. Il insiste sur une "conversion" et un renouveau du langage, qui doit cesser de cataloguer et de condamner, et sur le "discernement" pour offrir aux personnes en situation "irrégulière" des moyens de participer à la vie de l’Eglise.»

«La première étape d’une réforme qui tournera une page dans l’Eglise»

Autant de précaution de la part du secrétariat du Synode indique bien que la sérénité et la paix parmi les hommes de Dieu n’est pas encore tout à fait au rendez-vous. En un mot, que progressistes et traditionalistes s’affrontent encore: «Mais même avant la publication du document, plusieurs lectures s’affrontent. Pour le cardinal et théologien allemand Walter Kasper, qui plaide en faveur de l’octroi de la communion aux divorcés remariés au terme d’un chemin pénitentiel, le texte du pape "sera la première étape d’une réforme qui tournera une page dans l’Eglise". Le secrétaire particulier du pape émérite Benoît XVI, Mgr Georg Ganswein, est en revanche convaincu que le pape François «continuera sur la voie tracée par ses prédécesseurs, selon le magistère de l’Eglise".»

Le pape réconciliera-t-il les deux ailes?

Le pape François saura-t-il réconcilier ces deux ailes ennemies? C’est ce que veut croire le site d’élévation spirituelle InTerris.it, qui écrit: «Des deux synodes sur la famille est apparue une Eglise qui ne regarde pas l’humanité d’un tour d’ivoire pour juger les personnes, mais qui retrousse ses manches pour verser du baume sur les blessures des hommes et leur indiquer la Vérité. Voilà la vraie Eglise, la vraie épouse du Christ, qui cherche à être fidèle à l’époux et à sa doctrine. L’Eglise qui n’a pas peur de manger et de boire avec les prostituées et les publicains. L’Eglise qui ouvre ses porte aux nécessiteux, aux repentis et pas seulement aux justes et à tous ceux qui croient être parfaits»… Amen.

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