L’état de sidération
La proposition fait de l’acte d’ordre sexuel commis «contre la volonté d’une personne ou par surprise» une «atteinte», alors que le viol ne serait comme aujourd’hui réalisé que lorsque l’auteur doit, en plus, utiliser la contrainte ou, comme le dit le Tribunal fédéral, lorsqu’il «surmonte ou déjoue la résistance que l’on pouvait raisonnablement attendre de la victime». Pourtant, dans de nombreux cas, la réaction naturelle au rapport non voulu est l’état de sidération: la victime se fige sans pouvoir s’expliquer par la suite son absence de résistance. Nombreuses sont les victimes qui en déduisent, à tort, qu’elles n’ont pas été violées et craignent, à raison, qu’il sera difficile d’établir une infraction.
Le choix des mots est essentiel et la reconnaissance du statut de victime de viol est déterminante pour sa reconstruction
Puisque le projet crée un nouveau délit, applicable notamment en pareil cas, quel est le problème? D’abord, la dénomination: la victime d’un acte sexuel non consenti subit de fait un viol et non une simple «atteinte». Le choix des mots est essentiel et la reconnaissance du statut de victime de viol est déterminante pour sa reconstruction. Avec cette nouvelle catégorie pénale, le législateur instaure ce que l’on pourrait considérer comme un viol de deuxième classe, une atteinte «d’une certaine intensité», mais qui ne serait pas qualifiée pénalement de viol et ferait l’objet de peines plus légères.
La notion du consentement
A cela s’ajoute le fait que l’acte doit avoir été commis «contre la volonté» de la victime plutôt que «sans son consentement». La nuance peut sembler mineure et pourtant elle est fondamentale: elle implique que, par défaut, le corps d’autrui est disponible pour un rapport sexuel, à moins qu’autrui ne s’y oppose. En d’autres termes, la proposition du législateur sous-entend que le consentement sexuel de la victime est présumé et que c’est l’attitude de cette dernière qui est déterminante pour l’issue du jugement. Sans opposition ou résistance, la justice considérera que l’auteur n’a pas pu «comprendre» qu’elle ne voulait pas. C’est là que le bât blesse, car à aucun moment, que ce soit dans l’ancienne ou la nouvelle version du Code pénal, la question de l’attention que l’auteur porte au consentement de la victime n’est posée. Le législateur ne devrait-il pas, par défaut, considérer que tout rapport sexuel non consenti est illicite? Il le fait pour les atteintes à l’intégrité corporelle, illicites en l’absence de consentement. Il devrait en aller de même de la pénétration du corps de quelqu’un.
Le législateur aurait à notre avis été plus inspiré s’il avait prévu de redéfinir le viol comme toute forme d’acte de pénétration non consentie, quels que soient le sexe de la victime ou sa capacité de résistance, car peu importe finalement. C’est l’acte de l’auteur que l’on juge. En définitive, si le droit qualifie l’accès non consenti dans nos maisons de violation du domicile (art. 186 CP), ne devrions-nous pas pouvoir bénéficier du droit à la même diligence lorsqu’il s’agit du bien le plus essentiel, soit notre intégrité corporelle et sexuelle?
\ **Véronique Boillet* , professeure de droit, Unil. _Marylène Lieber , professeure en études genre, Unige. __ Stéphanie Perez-Rodrigo , collaboratrice scientifique, juriste, Unige. Camille Perrier Depeursinge , professeure de droit, Unil. Marta Roca i Escoda , maîtresse d’enseignement et de recherche en études genre, Unil_