Les arguments contre une visite étaient également évidents. «Rencontrer Mohammed ben Salman sans obtenir d'engagements en matière de droits de l’homme donnerait raison aux dirigeants saoudiens qui pensent que des violations flagrantes des droits humains sont sans conséquences», selon Human Rights Watch. Biden avait déclaré pendant sa campagne de 2020 qu’il chercherait à faire de l’Arabie saoudite «le paria qu’elle est». Le lien entre le prince héritier et le meurtre du chroniqueur du Washington Post Jamal Khashoggi a été documenté, tout comme les crimes de guerre commis par l’Arabie saoudite au Yémen. Enfin, au-delà de l’argument des droits de l’homme, rien ne garantit que la hausse de la production de pétrole par l’Arabie saoudite ou d’autres membres de l’OPEP fera baisser les prix du gaz et ralentira l’inflation.
Interrogé sur ce voyage à venir malgré le bilan lamentable de l’Arabie saoudite en matière de droits de l’homme, Joe Biden a répondu dans le cadre de sa stratégie globale visant à ramener la paix au Moyen-Orient: «Je ne vais pas changer de point de vue sur les droits de l’homme, mais en tant que président des Etats-Unis, mon travail consiste à apporter la paix si je le peux. Et c’est ce que je vais essayer de faire.»
La porte-parole de la Maison-Blanche, Karine Jean-Pierre, a répété cet argument de la paix. «Le président considère le Royaume d’Arabie saoudite comme un partenaire important dans une foule d’initiatives sur lesquelles nous travaillons, tant dans la région que dans le monde entier.»
L'argument de l'administration en faveur d'une rencontre Biden-MBS est donc qu'il est dans le plus grand intérêt de la paix au Moyen-Orient et de la paix «dans le monde entier» que les deux hommes se parlent. Cela l'emporte sur le terrible bilan du dirigeant saoudien en matière de droits de l'homme.
Si Joe Biden parlait de «paria» pour évoquer MBS pendant sa campagne et qu'il a ensuite changé d'avis, si l'équipe Biden considère un tête-à-tête avec lui comme une étape positive pour augmenter la production de pétrole et réduire les tensions au Moyen-Orient, alors il est sûrement plus urgent d'organiser un autre sommet Biden-Poutine pour mettre fin au carnage en Ukraine et augmenter les livraisons de céréales. Mais le dernier et unique sommet entre les deux hommes, à Genève le 16 juin 2021, n'a abouti à aucun résultat concret. Au contraire, huit mois plus tard, les troupes russes ont envahi l'Ukraine. Poutine n'a visiblement pas été assez impressionné par Biden pour modifier ses plans d'attaque. Pour l'instant, il n'est pas question d'une réunion de suivi.
Si Biden ne peut pas parler à Poutine, qui le pourra?
Si Biden ne peut pas parler à Poutine, qui le pourra? Le candidat le plus prometteur est le président français, Emmanuel Macron, qui a eu une centaine d’heures de conversations téléphoniques avec le président russe depuis décembre. En quoi cela a-t-il été utile? Bien que ces conversations aient pu consolider l’image de Macron comme grand leader international, la guerre continue de faire rage en Ukraine.
La question fondamentale est celle de la valeur des discussions. Toute proposition visant à ce que Biden rencontre à nouveau Poutine rappelle les pourparlers du premier ministre britannique Neville Chamberlain avec Hitler en 1938. L'apaisement convenu à Munich n'a eu aucun effet pour stopper la Seconde Guerre mondiale. Les critiques de Macron ont cela à l'esprit. Biden serait certainement critiqué s'il ne faisait même que proposer un nouveau sommet.
Pour l’équipe Biden, il est acceptable de parler à MBS, mais pas à Poutine. La logique est-elle que les violations des droits de l’homme de Poutine sont plus flagrantes? Le fait que la situation en Ukraine est plus destructrice sur le plan humain que le prix du pétrole ou d’éventuels minces progrès dans la paix au Moyen-Orient ne serait-il pas une raison suffisante pour essayer de discuter?
L’équipe Biden fera valoir qu’elle ne voit aucun résultat positif à négocier avec Poutine. L’échec du sommet de Genève de juin 2021 sera son point de référence, comme les conversations ratées de Macron au téléphone avec Poutine. Pour l’instant, seuls des autocrates comme Recep Tayyip Erdogan en Turquie et Alexandre Loukachenko en Biélorussie ont mis sur pied d’importantes négociations de paix.
Ainsi, le voyage prévu du président Biden pour rencontrer MBS soulève de sérieuses questions sur les critères permettant de décider à qui parler. Si «échanger des mots est toujours mieux que faire la guerre», selon Churchill, alors une certaine forme d’ouverture de Biden à la Russie devrait être sur la table. Si parler à quelqu’un qui viole les droits de l’homme comme MBS est jugé acceptable parce que cela sert l’intérêt général, parler directement à Vladimir Poutine suit la même logique.